Parmi les nombreuses formules de prières que l'Eglise approuve et qu'elle met à la disposition des fidèles, il en est une qui doit occuper la première place dans notre estime et dans la pratique de notre vie : c'est le Notre Père.
• L'origine du « Notre Père »
Cette prière est, en effet, d'origine divine : c'est Nôtre-Seigneur Lui-même qui l'a composée pour apprendre à ses apôtres comment prier. Ceux-ci étaient un peu comme nous : négligents à s'acquitter du devoir de la prière. Notre-Seigneur avait beau les talonner et leur répéter qu'il faut toujours prier et ne jamais cesser, ceux-ci ou bien faisaient la sourde oreille, ou bien oubliaient vite les recommandations de leur Maître.
Un jour que Jésus revenait à la charge en leur disant : « Demandez donc : vous ne demandez jamais rien. Priez ! », les apôtres tentèrent d'excuser leur négligence en disant : « Seigneur, nous ne savons pas prier; montrez-nous comment faire. »
C'est alors qu'il leur enseigna la formule du Pater : prière vraiment divine, chef-d’œuvre incomparable tant par la concision et la simplicité de la formule que par la perfection des actes qu'elle contient.
• Le chef-d’œuvre du « Notre Père »
Pour bien comprendre la vérité de cette assertion, il faut se rappeler que l'acte le plus parfait que puisse faire un être doué d'intelligence et de liberté, c'est l'acte de charité par lequel on aime Dieu pour Lui-même ou bien le prochain pour l'amour de Dieu. Cet acte est aussi éminemment salutaire, puisqu'il a la vertu de remettre automatiquement en état d3 grâce celui qui est coupable de péché mortel.
Il s'agit évidemment ici de la charité parfaite, c'est-à-dire de l'amour de bienveillance par lequel on veut du bien à celui qu'on aime. En ce qui concerne Dieu, nous ne pouvons pas, à proprement parler, lui faire du bien, puisqu'il est infini et que l'infini ne peut ni augmenter ni diminuer en lui-même. Il n'en est pas de même de sa gloire extérieure qui est susceptible de recevoir des accroissements. Nous pouvons donc aimer Dieu de la charité parfaite en voulant qu'il soit glorifié par l'amour, par la louange, par l'adoration et par la soumission de tous les hommes à son adorable volonté, maintenant et dans l'éternité.
A l'égard des hommes, la charité parfaite nous commande de leur vouloir le plus grand de tous les biens : le bonheur éternel et les moyens d'y parvenir, c'est-à-dire le pardon des péchés, la grâce sanctifiante et la préservation du mal de l'enfer.
Ajoutons enfin que l'acte de charité du prochain a la même vertu que l'amour de Dieu; il nous obtient le pardon des péchés avant même l'absolution et, si nous avons le bonheur d'être déjà en état da grâce, il nous mérite un degré nouveau de grâce et de honneur éternel.
Grâce à ces remarques préliminaires, il nous sera facile d'apprécier à sa juste valeur la prière qu'un Dieu a bien voulu nous composer pour nous enseigner à prier.
• « Notre Père qui êtes aux deux »
Dans ces premiers mots, Nôtre-Seigneur nous apprend que nous devons nous adresser à Dieu avec la confiance et l'amour d'un enfant envers un Père infiniment bon et puissant.
C'est dans cette disposition d'âme que Nôtre-Seigneur nous fait ensuite formuler trois désirs qui seront trois actes d'amour parfait envers Dieu et quatre demandes qui sont autant d'actes de charité parfaite à l'égard du prochain. On peut facilement s'en rendre compte en parcourant le texte de la formule.
Les trois premières demandes
• « Que votre nom soit sanctifié »
Cette expression signifie que nous voulons que Dieu soit glorifié, c'est-à-dire qu'il soit loué, adoré, aimé, obéi, béni par tous les êtres intelligents, maintenant et dans les siècles des siècles. Cette première demande, par laquelle nous désirons la gloire de Dieu et le salut de tous les hommes, est donc un acte d'amour parfait de Dieu et du prochain.
• « Que votre règne arrive »
Ces paroles expriment encore le désir de la gloire de Dieu et du salut des âmes. En effet, demander que le règne de Dieu arrive, c'est désirer que Dieu règne sur le monde, d'abord par l'extension et le triomphe de l'Eglise, qui est le royaume de Dieu sur terre; par la grâce sanctifiante dans le coeur de tous les hommes; enfin par le bonheur éternel des élus dans le royaume des cieux.
• « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. »
Nôtre-Seigneur nous fait exprimer ici le désir que tous les hommes soient soumis sur la terre à la sainte et adorable volonté de Dieu, comme les élus le sont dans le ciel. Cette soumission consiste aussi à accepter de la main de Dieu tout ce qu'il nous réserve dans son plan de Providence jusqu'à la mort inclusivement.
Que ce soit là le sens de cette demande, nous en avons la preuve dans le fait que Nôtre-Seigneur a repris la même formule, pour son propre compte, lorsque à la fin de son agonie il a accepté le genre de mort sanglant et douloureux que le Père avait choisi pour son Fils bien-aimé : « Que votre volonté soit faite et non la mienne. »
Or, saint François de Sales affirme que la soumission de notre volonté à l'adorable volonté de Dieu, surtout en ce qui concerne la mort, est un acte de charité parfaite.
• Conclusion
Et ainsi se termine la première partie de cette prière merveilleuse et vraiment divine que Notre-Seigneur a bien voulu composer Lui-même pour nous enseigner à prier. Il nous fait faire en quelques secondes trois actes d'amour parfait de Dieu, dont deux au moins sont en même temps des actes de charité parfaite du prochain.
Si nous nous rappelons ce que nous avons dit de la valeur et de l'efficacité de la vertu de charité, il faut avouer qu'il est difficile de condenser en si peu de mots autant d'actes salutaires.
Les quatre dernières demandes
La seconde partie du Pater est non moins admirable: elle est composée de quatre demandes qui contiennent cinq actes d'amour parfait du prochain. Voici le sens de ces quatre demandes :
1. — « Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien »
L'expression « pain quotidien » ne doit pas être prise dans le sens restreint de « nourriture ». De l'avis des meilleurs commentateurs, elle signifie tout ce qui est nécessaire pour notre vie naturelle : nourriture, logis, vêtement, etc., et aussi pour notre vie surnaturelle : grâce sanctifiante, inspirations divines, sacrements et particulièrement le Pain céleste que Nôtre-Seigneur a institué pour la nourriture de nos âmes.
Remarquons que ces moyens nécessaires à la vie temporelle et éternelle, Nôtre-Seigneur nous les fait demander au pluriel, c'est-à-dire pour chacun de nous et pour les deux milliards d'hommes, de femmes et d'enfants qui vivent actuellement dans cette vallée de larmes. Cette première demande contient donc un acte de charité parfaite qui embrasse d'un seul coup toute l'humanité.
2. — « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés »
Cette demande est évidemment un acte de contrition dont l'efficacité est infaillible. En effet, Notre-Seigneur ne nous fait pas demander pardon seulement pour nos péchés personnels; il nous fait demander miséricorde au pluriel, pour les deux milliards d'hommes dont se compose l'humanité actuelle.
Or le pardon des péchés est une grâce incomparable qui comporte non seulement l'effacement de la tache que le péché imprime dans l'âme, mais encore la divinisation du pécheur par la production de la grâce sanctifiante et surtout le bienfait incroyable par lequel Dieu se donne Lui-même à son offenseur en lui conférant un droit véritable de propriété sur la Trinité tout entière. Il faut en conclure que demander à Dieu de pardonner à tous les hommes, c'est leur vouloir le plus grand des biens, le bien infini. La formule de contrition que Nôtre-Seigneur nous apprend à réciter est en même temps un acte de charité parfaite qui obtient infailliblement à celui qui le fait le pardon de ses fautes.
« Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. »
Voilà un nouvel acte de charité d'un mérite spécial, puisqu'il nous fait pratiquer le commandement parfait qui nous oblige à aimer même nos ennemis et à rendre le bien pour le mal.
3. — « Ne nous induisez pas en tentation »
D'après l'interprétation générale, cette demande signifie : « Ne permettez pas que nous succombions à la tentation » ou, en d'autres termes : « Accordez-nous le secours de votre grâce pour nous aider à éviter le péché. »
II s'agit donc ici d'une formule de ferme propos qui contient encore un acte de charité parfaite, puisque la grâce d'être préservé du péché n'est pas une faveur que nous demandons seulement pour chacun de nous personnellement, mais pour tous les hommes.
4. — « Mais délivrez-nous du mal »
De quel mal s'agit-il dans cette demande ?
Les théologiens distinguent trois catégories de maux :
II y a, d'abord, les maux d'ordre physique : souffrances de toute sorte, du corps et de l'âme, qu'on désigne sous le nom d'épreuves et qui sont le lot commun de tous ceux qui vivent dans cette vallée de larmes.
On peut évidemment demander à Dieu de nous épargner ce genre de maux, mais personne ne peut raisonnablement espérer être complètement à l'abri dans ce domaine. 11 y a des épreuves inévitables auxquelles toute personne sensée doit se résigner : telles sont, entre autres, les séparations, les deuils, la mort...
Ces souffrances font d'ailleurs partie des maux que les philosophes appellent « accidentels », parce que, s'ils sont un mal sous un rapport, ils peuvent être un très grand bien sous un autre rapport. Il suffit, par exemple, de les accepter de la main de Dieu pour en faire un bien qui dépasse en valeur toutes les richesses d'ordre naturel. C'est précisément cette soumission à l'adorable volonté de Dieu que Nôtre-Seigneur nous enseigne à faire lorsqu'il nous fait dire : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. »
II y a, en second lieu, le mal moral, c'est-à-dire le péché. Mais il ne peut s'agir de ce genre de mal dans la demanda présente, puisque, dans les deux demandes précédentes, nous avons déjà imploré Dieu d'en être délivrés en le suppliant de nous pardonner nos péchés passés et de nous en préserver à l'avenir par le secours de sa grâce.
Reste enfin le mal suprême : la damnation éternelle, mal que les théologiens qualifient d'« essentiel », car il ne peut être un bien sous aucun rapport.
C'est évidemment de ce mal de la damnation éternelle qu'il est surtout question dans la quatrième demande et nous supplions « Notre Père qui est aux cieux » d'accorder à tous ses enfants la grâce d'une bonne mort afin de les préserver du sort terrible de l'enfer éternel.
La deuxième partie de l'oraison dominicale se termine donc par un cinquième acte de charité parfaite.
Résumons. Dans le Notre Père, qu'on peut réciter en quelques secondes, Nôtre-Seigneur nous apprend d'abord à nous adresser à Dieu avec la confiance filiale d'un enfant envers son père; il nous fait faire ensuite trois actes d'amour de Dieu, dont deux sont en même temps des actes d'amour du prochain; et la prière se termine enfin par cinq actes de charité parfaite envers le prochain. Le pécheur qui récite cette prière attentivement et avec sincérité recouvre infailliblement l'état de grâce et celui qui a le bonheur de posséder déjà la grâce sanctifiante obtient une augmentation de plusieurs degrés de cette même grâce.
L'on est donc en droit de conclure que le Notre Père est une prière vraiment divine, un chef-d’œuvre de simplicité et de concision. Ici, aucune prétention à la littérature, aucun raisonnement savant; l'on va droit au but. Les actes d'amour jaillissent du coeur à coups répétés, comme les explosions d'un feu d'artifice.
Il est à remarquer que Nôtre-Seigneur, dans la seconde partie du Pater, nous fait prier uniquement au pluriel. Par là, l'oraison dominicale diffère d'un trop grand nombre de prières savantes et éloquentes, où le « moi » et le « je » émaille toutes les phrases.
Malgré l'extraordinaire perfection de sa formule, la récitation du Notre Père ne produit pas toujours les effets salutaires que nous avons signalés au cours de cet article. Deux défauts surtout contribuent à en diminuer l'efficacité ou même à la rendre stérile.
• II y a d'abord le manque d'attention
Le Notre Père est une des premières prières que nous avons apprises par coeur. On nous l'a enseigné à un âge où il nous était impossible d'en saisir le sens; nous l'avons ensuite récité pendant des années d'une façon toute machinale et sans penser au sens des paroles.
L'habitude prise au cours de notre enfance de marmonner nos prières sans penser à rien à la tendance naturelle de durer toute la vie et elle est fort difficile à déraciner. Pour la combattre, les maîtres de la vie spirituelle conseillent de réciter de temps en temps quelques-unes de nos prières lentement, en laissant quelques secondes entre les groupes de mots qui forment un sens complet, afin de pouvoir ainsi réfléchir suffisamment au sens de la prière. C'est ce que l'on devrait faire chaque jour pour le Notre Père; et le temps qui semble le plus approprié pour cet exercice, c'est le matin, immédiatement après le réveil. On est sûr ainsi de commencer la journée en état de grâce et le coeur rempli d'amour de Dieu et de charité envers notre prochain.
• II y a ensuite l'égoïsme
Le second défaut qui vicie notre récitation du Pater, c'est la tendance instinctive que nous avons tous de faire au singulier les demandes que Nôtre-Seigneur nous fait faire au pluriel. En effet, nous sommes tous égoïstes par nature; nous sommes portés à penser d'abord ou uniquement à nous-mêmes; notre salut nous intéresse et le salut des autres nous laisse indifférents. Il arrive donc que quand nous disons : « Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien », dans notre intention et notre pensée, ces mots ont le sens de : « Donnez-moi »; « pardonnez-nous nos offenses » devient : « Pardonnez-moi... »
II faut réagir contre cette tendance égoïste et se rappeler que le moyen le plus efficace d'obtenir beaucoup pour soi, c'est de demander beaucoup pour les autres. Nôtre-Seigneur, en effet, nous a avertis expressément qu'on nous traitera avec la même mesure que nous aurons traité les autres.
Fin
Extrait de : Le Pater Médité… Père A. Bettinger
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