Dieu a pour chacun de nous un Amour unitif. Dieu est si immense, si puissant, si élevé au-dessus de nous, ses infimes créatures tirées du néant et toujours voisines du néant, que nous avons tous, dans les débuts des études du divin en nous, de la peine à réaliser l'amour de Dieu, comme nous réalisons ses autres perfections.
Nous savons qu'il nous aime, et on nous a assez répété, qu'il nous aime immensément, mais sans savoir de quelle sorte d'amour il nous aime, c'est ce que nous soupçonnons peu à l'entrée de la vie spirituelle. Les chrétiens, en général, s'imaginent que Dieu nous aime de cet amour que seul on peut attendre de l'infiniment grand pour un infiniment petit : un amour de compassion et de bienfaisance envers ces pauvres mendiants que nous sommes, un amour général et qui embrasse d'une façon indistincte tous les hommes.
Même les plus grands bienfaits de l'amour de Dieu sont interprétés de cette façon. La Passion, ce chef-d'œuvre de la charité divine, n'est pour eux que l'amour compatissant du Dieu infiniment bon, voulant d'un seul coup sauver le genre humain d'une épouvantable damnation.
Il faut s'être adonné quelque temps, à la vie spirituelle, pour comprendre que l'amour de Dieu est un amour qui me concerne personnellement, qui concerne chacun de nous. Il faut avoir entendu la voix de Dieu au fond de son cœur, avoir causé quelque peu familièrement avec lui, savouré les joies de l'amour d'intimité pour réaliser que c'est bien moi que Dieu aime, que Jésus est mort pour moi, qu'il s'intéresse à moi en particulier, qu'il songe continuellement à moi et veut mon amour ( newman).
Puis, plus tard encore, on commence à entrevoir que Dieu nous aime chacun en particulier non seulement d'un amour de compassion et de bienfaisance, ni même d'un simple amour d'amitié mais de cet amour le plus parfait de tous, l'amour unitif.
Il m'aime d'un amour immense, il est épris de mon âme et ce qu'il veut, ce à quoi il travaille inlassablement et mystérieusement, c'est l'union parfaite et finale avec lui, l'union idéale de la vision béatifique et aussi, dès cette vie, l'union de la sainteté.
L'amour unitif, l'amour du Dieu infiniment grand et infiniment parfait voulant et poursuivant, sans jamais se lasser, l'union de sa très petite et très misérable créature avec lui : voilà la très grande vérité autour de laquelle toute notre vie gravite. Mystère, oui. Étrange mystère, dépassant infiniment et éblouissant notre très petite intelligence humaine, comme la lumière trop vive du soleil éblouit les yeux trop faibles-des oiseaux nocturnes.
Que Dieu dans sa bonté s'intéresse à ses petites créatures, qu'il aime l'ouvrage de ses mains, qu'il veuille nous faire du bien, qu'il nous montre son amour bienfaisant par mille dons divers, cela se conçoit encore à la rigueur. Mais que lui, l'infinie perfection, nous aime du plus grand et du plus parfait amour qui soit, qu'il veuille nous unir à lui, à l'infinie beauté, notre immense laideur, à l'infinie sainteté ces souillures que nous sommes, à l'infinie grandeur notre extrême petitesse, voilà ce que nous ne saurions concevoir ici-bas. L'amour suppose toujours quelque égalité, quelque proportion entre ceux qui s'aiment, et Dieu et la créature ne sont-ils pas des incomparables ?
Et pourtant, cette chose inouïe, incroyable, ce paradoxe par excellence est vrai : Dieu m'aime. Il veut non seulement me donner les mille présents que l'amour suggère, il veut encore et surtout se donner lui-même à moi, autant que possible ici-bas et parfaitement là-haut. « Amor est diffusivus sui. » L'amour est prodigue de soi. Dieu, l'amour par excellence, veut se communiquer, se donner à nous et si pour cela il doit nous diviniser, eh! bien, il le fera. « Amor aut similes invenit aut facit. » L'amour trouve des semblables ou bien en fait. Ne trouvant que disproportion et obstacles à l'union entre lui et nous, Dieu nous rendra semblables à lui pour pouvoir consommer l'union.
Voilà la sublime fin à laquelle Dieu nous a appelés. La sainteté ici-bas, la béatitude éternelle la haut, cela veut dire en termes plus palpables, plus concrets, l'union intime avec Dieu sur terre et l'union parfaite avec lui dans le ciel. L'union du tout et du néant, de l'infiniment grand et de l'infiniment petit, voilà le chef-d'œuvre impossible imaginé par son amour et dont l'apparente impossibilité nous fait toucher un peu du doigt l'infini de l'amour divin. Ne nous étonnons pas trop. L'infini amour ne doit-il pas dépasser immensément notre pauvre «compréhension humaine et l'amour divin peut-il être comparé à quelque amour créé, peut-il trouver ici-bas quelque chose qui soit, même un tant soit peu, son rival?
Deus caritas est. Dieu est la charité même, dit saint Jean. Amour éternel et par essence, il se donne totalement et d'une façon immanente, au Fils. Mais il désire aussi se donner en dehors de lui-même et comme rien n'existe à quoi il puisse se donner, il donne l'être aux créatures, il crée l’homme et l'élève à l'ordre surnaturel. Il me crée ainsi, me conserve par une création; continuelle de chaque instant, me remplit de sa grâce et me demande mon cœur et mon amour car il veut se donner et pour qu'il puisse se donner, il faut aussi que je me donne. Notre vie entière est un drame d'amour.
C'est l'amour divin voulant se donner à moi, m'unir ineffablement à lui, et mendiant, poursuivant, recherchant, par mille moyens, l'amour de son infime créature. Voilà la vie. Voilà le but sublime de Dieu en me créant.
A suivre
Extrait de : CONFIANCE – Méditation Paul De Jaegher, S.J. (1935)
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