I. LA DESUNION. (Écrit en 1974)
Si par des lectures, des conversations et une observation constante on essaie d'avoir une vue d'ensemble sur les aspects extérieurs de l'Église, on garde d'abord l'impression puis la certitude qu'elle n'est plus « une ». Ici et là on rejette des rites et des coutumes pour en adopter d'autres, exactement comme si, en faisant peau neuve, on parvenait à plaire à ceux qui, croyants ou encore incroyants, voudraient une Église à leur goût. Chez certains, prêtres et laïcs, on découvre un véritable acharnement à bannir tout ce qui peut rappeler l'Église d'avant le Concile. Des déviations nombreuses, dues à des initiatives particulières prises le plus souvent en l'absence de toute autorité et de tout bon sens chrétien, mises en parallèle avec ce qui est resté stable en maintes paroisses, jettent le trouble chez la plupart des catholiques qui ne savent plus où est la vérité, laissant indifférents les endormis qui s'habituent à tout.
La désunion existe à tous les échelons. Sans parler d'évêques publiquement en désaccord, comme cela s'est produit à propos du sacerdoce, citons simplement le triste et remarquable exemple qui nous est donné par l'affaire dite de la « communion de Boquen ». Ce désaccord est double. Il y eut d'abord un différend entre l'ancien prieur conventuel de l'abbaye de Boquen, de l'Ordre cistercien, située dans le diocèse de Saint-Brieuc (Côtes-du-Nord) et le groupe des évêques de Bretagne. Celui-ci, avec une modération réfléchie, fit connaître les distances qu'il devait tenir par rapport au style de recherche de la communion de Boquen (dont l'animateur faisait parler de lui depuis 1968) et déclara qu'il ne pouvait laisser croire qu'il approuvait une réunion organisée à Rennes, par ladite communion, au printemps 1972. Ainsi prenait corps une division latente depuis quelques années.
La seconde naquit aussitôt la publication de la note annonçant la position épiscopale, non du fait que la réunion ou plus exactement le « rassemblement des chrétiens en recherche et des communautés de base » eut lieu malgré les évêques, mais parce qu'une quinzaine d'associations et de mouvements catholiques s'élevèrent, protestèrent contre cette atteinte à la recherche collective. Sans doute y en eut-il d'autres qui ne s'exprimèrent point, puisqu'un an plus tard, un mouvement d'action catholique féminine, dont l'un des périodiques tire à un million d'exemplaires, consacra 25 lignes d'une colonne, en publicité pour des journées et cessions de ladite communion de Boquen, dont le responsable avait fait fi de l'avertissement de la hiérarchie, et déclaré sa détermination sereine à poursuivre sa recherche. Laissons ce cas important et typique et descendons dans le rang.
Telle paroisse est restée saine, telle autre s'est entièrement contaminée, tandis qu'ailleurs c'est la division en deux clans, cette division pouvant exister entre parents et enfants.
Dans tel village, le prêtre ne croit plus à la présence réelle, pas du tout, plus loin on y croit encore durant la messe mais, Dieu merci, il est encore des couvents où l'on reste en adoration devant le Saint-Sacrement.
Ici, la paroisse prie, animée par son curé ; à la ville voisine les laïcs ont dû réaliser un groupe de prières pendant qu'ailleurs on se désintéresse de ce que l'on considère comme du « rabâchage », lorsqu'on ne conteste pas son utilité ou qu'on ne nie pas une efficacité incompatible avec le progrès temporel.
Certains croient aux miracles et participent aux pèlerinages, d'autres n'acceptent pas les premiers et voient dans les mouvements vers Lourdes, La Salette et autres lieux saints, des manifestations d'un autre âge réservées aux vieilles bigotes. De ci, de là, on conteste à propos de l'enfer, des anges, de la virginité de Marie, du baptême, de la résurrection du Christ.
La plus grande partie du clergé prêche encore la morale évangélique, sinon dans sa totalité, du moins dans son intégrité, mais d'autres, dans la ligne du nouvel enseignement, voient une grâce dans le fait que « l'étreinte du moralisme
s'est desserrée » et en oublient plusieurs Commandements. Des prêtres ne croient plus guère au péché, certains croient seulement au péché social, pendant que parmi les autres il s'en trouve pour provoquer des examens de conscience orientés et collectifs, donnant une large absolution à l'ensemble des participants et une pénitence préfabriquée.
En quelques milieux on croit encore à la doctrine sociale de l'Église et on considère le socialisme comme contraire au christianisme, tandis qu'ailleurs on voudrait faire rimer évangélisation et socialisation.
Maints hommes de Dieu à qui la foi éclairée permet de voir dans les riches et les pauvres (comme dans les Blancs et les hommes de couleur), des âmes à conduire au Ciel, se donnent entièrement à tous, alors que d'autres choisissent, se donnant aux uns et négligeant les autres, sous prétexte de ne point se compromettre auprès des riches et des patrons. L'esprit démagogue accroît les divisions sociales que le seul christianisme peut effacer.
On a les yeux rivés sur tout ce qui est injustice sociale ou qui semble tel (car on confond souvent l'inégalité et l'injustice), oubliant que la pire des injustices est de ne point rendre à Dieu ce qui lui est dû : amour, honneurs, louanges.
Ici, des foules féminines têtes nues, assistent à la messe ; près d'elles, fidèles à l'Église et à saint Paul, d'autres se refusent à abandonner la coutume traditionnelle. Dans la rue on voit des prêtres en soutane et d'autres que l'on identifie à ce « je ne sais quoi » dont il leur est difficile de se départir. Chez les religieuses, où tant de sœurs ont lutté pour ; conserver une tenue qu'elles savent plaire à Dieu, une tenue qui les protège et engendre le respect, on rencontre des personnes en qui on voit seulement la femme, la femme élégante et soignée.
Mentionnons simplement pour mémoire que des pays communient traditionnellement, tandis que dans les pays voisins ceux qui le désirent reçoivent le Corps vivant du Christ dans la main, que dans une même église les uns font d'une manière, les autres de l'autre, qu'en divers endroits des laïcs donnent la communion malgré la présence des prêtres inactifs, qu'en telle paroisse on communie sous les deux espèces, qu'en telle autre le prêtre donne aux fidèles l'hostie trempée dans le sang. Les célébrants consacrent comme le veut l'Église, mais il en est qui fractionnent d'abord l'hostie, tendent les deux fractions vers les assistants (Il le donna à ses disciples), puis consacrent. Parfois un bol tient lieu de calice, une soucoupe remplace la patène (cela fait plus pauvre).
Ici le latin survit, là il est totalement abandonné.
Pendant que des séminaires agonisent, des prêtres réunissent des jeunes en communautés pour les orienter vers le même sacerdoce que le leur tandis que Mgr Lefebvre qui a créé un séminaire en Suisse ne peut accueillir toutes les vocations qui se présentent…
A la suite de tels conditionnements, la jeunesse, avec acuité, prend conscience qu'elle existe et forme un tout, parfois en désaccord avec ses aînés, n'ayant déjà plus la même religion, la même morale surtout. Un bel optimisme peut permettre de penser à des crises de croissance, mais pour celui qui sait que nous vivons à la fin des temps et qui, d'autre part, a lu la Bible, ces faits peuvent être causes d'inquiétude. Sans être oiseau de mauvais augure, on peut rester pensif devant certaines paroles de l'Écriture.
(A suivre)
Extrait de : MARIE ET LA GRANDE HÉRÉSIE.
Guy Le Rumeur (1974)
79290 Argenton-L’Église
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