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Que sert à l'homme de gagner l'univers s'il perd son âme

7 juillet 2015 2 07 /07 /juillet /2015 08:49

Chapitre III

La maladie, la mort, le jugement ! Trois termes auxquels on ne saurait échap­per : le premier est douloureux, le second est effrayant, le troisième est formidable. Post hoc autem judicium.

On peut, à la suite des années, et grâce à l'expérience acquise, concevoir des dégoûts salutaires de la vie. Tout ce qui nous a souri sur la route n'avait-il pas le caractère de la fragilité et souvent de l'erreur? Ne sommes-nous pas déjà les survivants de tout ce qui nous a aimés? Le bien désiré n'est pas venu ; le mal redouté a dépassé nos prévisions. La vie qui se prolonge n'améliore pas toujours la vie. Mourons donc ; car « nous ne sommes pas meilleurs que nos pères » (IIIe L. des Rois, XIX 4). Mais, par un mouvement contraire, si avec les années et l'expérience l'amour de la vie diminue, la crainte du jugement augmente. C'est excusable à la jeunesse de ne rien craindre, pas même un juge, c'est-à-dire de n'y point penser. Quand on arrive à cet âge où le chrétien se prend à peser dans sa main l'emploi qu'il a fait du temps ; quand il accumule d'une part les grâces reçues, les pardons cent fois répétés, des communions assez nom­breuses pour composer plusieurs ciboires pleins d'hosties ; et d'autre part, les réso­lutions négligées, les habitudes toujours vivaces, les chutes et les rechutes, quelles raisons fondées n'a-t-il pas d'appréhender ce qui suit la mort ? Qu'en adviendra-t-il de moi? Pour résoudre la question, je me jette dans l'Évangile, et l'Évangile me reçoit d'abord avec un faisceau de paraboles et de menaces qui rendent ma crainte aussi profonde que surnaturelle. Les menaces ! « Malheur à toi, Corozaïn, et à toi, Bethsaïde ; car si les pro­diges opérés chez vous eussent été opérés dans Tyr et Sidon, Tyr et Sidon au­raient fait pénitence dans la cendre et le cilice : Aussi je vous le dis, ces deux villes, au jour du jugement, seront trai­tées plus favorablement que vous » (Saint Matthieu, XI, 21 et 22) Même parallèle entre Capharnaùm et la terre de Sodome, et même déclaration.

Dirai-je que ceci regarde tel publicain et non pas moi ?...

« Malheur à vous, riches, qui avez votre consolation en ce monde !» — « On redemandera beaucoup à celui à qui on aura beaucoup donné. » — « Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous » (Saint Luc, XII et XIII.). Voilà qui me regarde ; j'ai beaucoup reçu, j'ai peu fait de pénitence. Impossible de taxer l'Évangile de trop de sévérité.

Les paraboles ! Elles se dressent aussi devant moi et chacune me donne le mot qui me convient. Ai-je oublié ce qui arrive au serviteur qui a veillé pendant la nuit, attendant le retour de son maître, et ce qui arrive à celui qui n'a pas veillé ? (Saint Luc, XII ).

— N'y a-t-il donc rien pour moi dans cette distribution de talents divers, ren­dus féconds par les uns, enfouis par les autres, et dans le jugement équitable qui termine la parabole ? (Saint Luc, XX).

— Le père de famille appelle son éco­nome infidèle et lui dit : Rends compte de ton administration. Mon Dieu, le père de famille, c'est vous ; l'économe trop infidèle, c'est moi ; et entre vous et moi, le jugement un jour !...

— Ainsi se par­lait un mauvais riche : « Tu as des biens en réserve pour de longues années : re­pose-toi, mange, bois, fais bonne chère. » Et Dieu lui dit : « Insensé, cette nuit-là même on te redemandera ton âme » (Saint Luc, XII.). Et l'insensé, c'est moi, me fixant en cette terre, comme si je ne devais jamais la quitter. Dieu s'apprête à m'en faire sor­tir, et me redemande mon âme et la vie.

— Voici que la salle du festin s'est rem­plie de convives, quoique à grande peine ; le roi apparaît au milieu, et, remarquant un homme, il lui dit : « Mon ami, com­ment êtes-vous entré ici, non revêtu de la robe nuptiale ? » Et l'homme se prit à trembler. Et le roi dit à ses ministres : « Jetez-le, pieds et poings liés, dans les ténèbres extérieures ; là il y aura pleurs et grincements de dents » (Saint Matthieu, XXII, 13.10).

Encore ma personne dans la parabole ! Il me semble que je suis cet homme qui, inter­rogé, se prend à trembler sous le regard du grand Roi. Jetez-le !... Mais non, pitié, mon Dieu, selon l'étendue de votre mi­séricorde ! La salle de l'éternel festin n'est pas encore ouverte pour moi ; si je le veux, j'ai le temps de revêtir la robe nuptiale.

— Et les vierges, allant au-devant de l'époux, et la voix criant, de la maison fermée, aux imprudentes qui vont chercher l'huile pour leurs lampes, quand il est trop tard : Nescio vos, je ne vous connais pas ! Si j'étais de cette foule des tièdes et des indifférents ; si la sentence était pour moi : Je ne vous con­nais pas !...

Faut-il fermer le livre, parce que ma crainte augmente à toutes les pages ? Non ; ces pages me captivent et m'instruisent.

Quand j'ai lu longtemps, et que j'ai accumulé les avertissements, les menaces, les paraboles, j'ai encore deux mots pour tout terminer, deux mots qui me préci­pitent à genoux, le front dans la pous­sière : lie maledidi!... — Venite, benedicti Patris mei!... Me voilà au point culminant de mes terreurs ; mais c'est là aussi que le crucifix m'apparaît. Il n'y a pas de parole si terrible de l'Évangile, que la croix ne couvre de son onction, remplissant le cœur d'une con­fiance égale à la crainte. Petit nombre des élus ! Me disent les uns. Grand nom­bre des élus ! Me disent les autres. Et qu'importe qu'ils me parlent ainsi? Le nombre des élus serait encore plus petit que je pourrais en être ; il serait encore plus grand que je pourrais n'en être pas. Le crucifix ne me dit pas des généralités ; il me parle du jugement dans la mesure qui me convient : la crainte qu'il m'ins­pire est sans désespoir ; la confiance qu'il met en mon âme est sans présomption. Par lui, je touche du doigt, ce qui, dans ma vie coupable, est le sujet précis qui doit me faire craindre, et j'apprends à le corriger ; et par lui je reconnais les mo­tifs propres que j'ai d'espérer, et com­ment je puis les amplifier.

Quand j'ai l'image de mon Rédempteur devant les yeux, il m'appartient de dire comme saint. Paul : « Il m'a aimé et il s'est livré à la mort pour moi. » Que manque-t-il à cette parole pour rassurer mon âme ? Elle m'atteint directement ; elle ne me confond pas dans la foule. L'amour qu'elle exprime est indiscu­table, efficace ; il est pour moi! Il m'a aimé, et voilà pourquoi il s'est livré ; il m'aime toujours, et voilà pourquoi il me sauvera.

Sans doute la rédemption ne peut me conduire au ciel, sans l'application que je dois m'en faire à moi-même. Mais jesus-christ y travaille le premier. Il est Rédempteur en versant son sang ; il l'est en m'en appliquant les mérites. Sa miséricorde poursuit mon salut à outrance. Des occasions que j'ignore de­vaient me conduire à ma perte ; il les a écartées. D'autres ont réussi à me saisir ; il en a amoindri l'effet ; il m'a relevé de la chute. Je combine des projets pour le mal ; il les entrave. Je reste libre, et ce­pendant sa miséricorde me contraint à combattre avec lui et pour moi. Je ren­verse et il restaure ; je me ruine et il re­compose ma fortune. Non, il n'y a rien de si instantané dans la nature qui le soit autant que ce sang de jésus pour m'apporter, dès que je le veux, le par­don, la lumière et la force.

O mon maître, je crois fermement, là, dans les révélations du crucifix, que vous aurez le dernier mot de ce combat singulier, entre un homme qui agit comme s'il voulait se perdre, et vous qui faites tout pour le sauver. A chacun selon ses œuvres; mais la miséricorde prend le devant pour que les œuvres soient bonnes. Bientôt je serai face à face avec la justice, et la miséricorde me précédera une dernière fois, en m'assurant la mort d'un prédestiné : « Cette espérance re­pose en mon cœur. » (A suivre)

Extrait de : LES CRUCIFIX de l’abbé Chaffanjon. (1925)

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4 juillet 2015 6 04 /07 /juillet /2015 19:58

Le frère est mort, et quittant sa froide dépouille, n'emporte-t-on rien avec soi ? On emporte une grâce de réserve, pré­cieuse récompense de la charité accom­plie. Cette grâce ajourne son principal effet jusqu'à l'heure suprême ; mais elle exerce déjà sa sanctifiante influence sur nos heures d'inquiétude et d'effroi. Tout l'enseignement du douloureux spectacle nous suit, et nous reste longtemps. Il est toujours marqué par quelque circons­tance qui nous le rend plus vivant et plus salutaire. Mon Dieu, ce mort, en paraissant devant vous, n'avait-il pas encore devant les yeux le crucifix que je lui ai montré, et dans l'oreille la parole que j'ai fait retentir ? N'avait-il pas l'un et l'autre dans son cœur? Je l'accom­pagne donc pour le défendre à votre tri­bunal. Pensée consolante ! Non pas que je veuille exagérer l'importance de mon rôle ; mais nous pouvons être quelque chose dans la sainte mort d'un chrétien, et Dieu ne laisse rien sans récompense. De plus, la leçon de la fragilité des choses humaines, je viens de l'apprendre à ce trépas, mieux qu'à la suite de longues et profondes réflexions. J'ai touché du doigt le néant d'une prospérité d'homme, il ne m'est pas difficile alors de songer à mon propre néant. De là surgit souvent une résolution importante. Je brise ces liens du cœur qui donnait à la crainte que j'ai de la mort son caractère le plus alarmant ; je simplifie ma vie, pour que rien ne vienne entraver ou compromettre ma dernière heure.

Cependant, si le trépas d'un frère sus­cite en moi un ordre de pensées qui me disposent à ma fin, il ne laisse pas de remuer à nouveau ces impressions de la nature, dont on n'est pas maître. J'ai été témoin de sa lutte suprême, j'en ai sur­pris l'effort désespéré; j'ai touché la sueur froide de son front et j'ai entendu le râle déchirant. Tout cela me reste et me pour­suit. Non, la parfaite école de nos agonies et de nos morts n'est pas là : elle est dans le crucifix, qui me présente aussi un frère expirant et trépassé, et quel frère !

Parce que le crucifix est une image, il ménage admirablement la délicatesse de mes sens. C'est vrai, il porte des plaies et s'efforce de me traduire la sainte an­goisse de jésus-christ ; mais l'effort de ma piété, pour animer la divine effigie, ne va pas jusqu'à réveiller, comme un trépas ordinaire, les impressions qui gla­cent le cœur. Je vois moins la blessure que l'amour qui en découle; moins l'horreur de la mort que la gloire de la Rédemption. Cette destruction me sai­sit, non par les commotions vulgaires de la nature, mais par son côté extraordi­naire et libérateur. Je ne touche pas un crucifix comme je toucherais un cadavre, et cependant en l'un et l'autre c'est la mort.

Comme il est une admirable transition offerte à ma tremblante nature, et con­duisant ma pensée sans violence des jours prospères au cercueil ! Aussi je passerais de longues heures à méditer la mort dans mon crucifix que je n'aurais pas peur. Rien ne trouble le disciple qui vient apprendre là, de son Maître, comment il doit mourir. La croix me montre des souffrances endurées par amour ; elle me rappelle les lois de la justice et de l'expiation, le mal du péché, et le tra­vail auquel il faut se livrer pour l'effacer et le détruire. Elle me prouve que, si la plus grande partie de ma vie s'est dis­sipée dans les vanités, ce qui m'en reste doit être marqué par le courage à subir la dernière peine, qui rachètera le temps perdu. La mort est comme l'acte de con­trition pour toute une existence où l'on a tant évité de mourir. Ainsi que l'hos­tie, le crucifix est un viatique, exerçant son action mystérieuse, même sur le corps.

L'habitude de voir les membres de jésus sur la croix me prête un secours qui peut échapper à mon observation, mais qui n'en est pas moins réel. Ses membres sacrés ont tous l'habitude de la soumission, de l'humilité et de la péni­tence. Ils restent où ils ont été placés, à l'endroit de la croix qui les retient par les clous, et semblent dire, dans leur sainte inertie, la parole de l'agonie : Père, que votre volonté se fasse !

Or, les mains soumises de jésus cru­cifié disposent mes mains à se soumettre, elles aussi, et à accepter d'avance sans se débattre la position qu'elles devront gar­der sur le lit de mort. Ses pieds, dociles à leur humble place, fixent mes pieds et les empêchent de frémir en leur incul­quant la théorie de l'immobilité. Sa tête et son visage, qui traduisent tout son amour de Dieu et des hommes, font pas­ser dans ma tête et sur mon visage quelque chose de cette résignation calme et pieuse qu'on aime à retrouver dans un chrétien mourant. Et surtout la plaie de son cœur fait l'éducation de mon cœur pour la mort. C'est bien dans mon sanc­tuaire intime, et quand la peur le rem­plit, que jésus porte l'onction de son gé­néreux trépas. Telles sont les victoires de la bonté divine, dit saint Augustin, elles atteignent le cœur, et par lui l'homme tout entier.

Quand ma méditation se prolonge sur ce sujet, au pied de la croix, je sens mon corps s'apaiser dans son attachement à la vie, à tel point qu'il semble arranger de lui-même et d'avance tous ses mem­bres pour trépasser. Et pourquoi ne le dirais-je pas? Il lui arrive de se glisser à terre et de prendre sur le sol la position dernière. Il joint les pieds, il croise les mains sur la poitrine, les doigts tenant le crucifix, et il semble attendre un ins­tant l'appel du Maître de la vie et de la mort. Les lèvres et le cœur disent : Mon Père, je remets l'esprit entre vos mains ! Un tel acte n'est pas sans influence ; on se relève calme et résigné.

Qu'on ne dise pas qu'il y ait là une fic­tion uniquement pieuse. La croix com­munique à celui qui, habituellement, la contemple, une grâce presque sacramen­telle. Cette grâce est tirée des entrailles mêmes du mystère offert à nos médita­tions. Elle agit sur tout l'être humain pour le revêtir de force en modérant ses craintes ; par elle, l'âme et le corps savent se faire à la mort. Celle-ci peut devenir pour nous presque belle à force de nous apparaître à travers le crucifix.

Et, du reste, il est impossible, que, dans ces heures de sainte prière, ne des­cendent pas jusqu'à nous quelques pa­roles de l'Évangile, qui, passant par la croix, ont une merveilleuse puissance de consolation et d'apaisement. Je m'in­quiète pour mon dernier jour ; l'Évan­gile et la croix me disent : « Noli timere, n'aie point de peur. » — « Non turbetur cor vestrum, que votre cœur ne se trouble pas. » — « Ego sum, c'est moi. » — « Ego vici mundum, j'ai vaincu le monde » et la mort. — « Je suis avec vous jusqu'à la consommation... » Sous le charme puissant d'un tel langage, on se sent capable de tout affronter.

(A suivre)

Extrait du : LES CRUCIFIX de l’abbé Chaffanjon. (1925) CHAPITRE VIII

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2 juillet 2015 4 02 /07 /juillet /2015 23:52

Chapitre II

Même si je crains la mort en elle-même. Est-ce faiblesse de caractère et manque de virilité ? Est-ce attachement désordonné pour ma personne, créant une délica­tesse excessive ? Est-ce insuffisance de christianisme ? Nul doute que ma frayeur ne tienne de tout cela à la fois.

Il ne manque pas d'hommes qui, sur ce sujet, ont de fières paroles. Mourir, disent-ils, cela ne me fera rien. Parlent-ils bien de l'abondance du cœur? Car il semble que la mort nous est imposée, pour que cela nous fasse quelque chose. — Mourir ? Le plus tôt sera le mieux... Cette parole rappelle celle du Sauveur à Judas : « Fais au plus vite ; » mais il est permis de douter qu'on la dise dans le même esprit ; et je vois qu'elle n'em­pêche pas ceux qui la prononcent d'em­ployer avec conscience tout ce qui peut retarder la mort.

Mais je m'incline avec respect, et avec une piété jalouse, devant les paroles des saints. Eux peuvent me parler de la mort, parce que le désir qu'ils en ont est réel, aussi réel que leur soif de la vision intuitive. Ils m'apparaissent comme des soldats au pied des remparts, atten­dant avec impatience le signal du der­nier assaut. «Je désire mourir pour être avec le christ ; » tout l'âme de saint Paul est dans cette sublime parole: on sent qu'il dit vrai. Le mot de saint Jérôme me bouleverse, comme la plu­part de ceux qui jaillissent de sa rude éloquence : « O mort, tu es noire, mais tu es belle. » C'était vrai pour lui, à la suite des macérations dont il avait rem­pli son désert de Chalcide, après ses vastes travaux dans l'interprétation des Écritures. Pour moi je trouve, la mort noire; je ne sais pas la trouver belle. Oui, c'est une vie passée dans la prière et dans un saint labeur qui peut seule transfigurer la mort. Et si l'on tremble, il est permis de se raffermir par cette parole d'un autre saint : « Voilà si long­temps que tu sers le christ ; et tu as peur? »

N'importe, la mort reste ce qu'elle est, une séparation, une destruction à la­quelle je répugne de toute la force de mes instincts : elle reste la grande peine du péché.

Il est dans la nature que j'éprouve des terreurs, et il est dans l'ordre de la grâce que je les discipline : la crainte dans le calme et dans la confiance, tel est l'idéal à réaliser. Or, comment y parvenir?

Je viens déjà de l'indiquer. Si je rem­plis ma vie de Dieu et de son amour ; si je la consacre au service du prochain et de la vertu, toutes mes puissances, pre­nant une direction ferme et bien accen­tuée de ce côté, se laisseront difficile­ment intimider. Je serai dans la condi­tion de l'athlète qui, se sentant fort et exercé, ne frémit plus à la pensée du combat qui l'attend.

Il arrive pour l'âme un moment où elle remplace une disposition pénible, et jusque-là dominante, par une disposi­tion meilleure, qui restera souveraine jusqu'à la fin. Ce moment est celui où aimant Dieu par-dessus toutes choses, elle ne laisse rien d'obscur et d'indécis dans la conscience et dans la volonté. Alors, « l'amour chasse la crainte. »

Un fossé seulement la sépare de Dieu et de la fin du combat ; elle ne redoute plus de le franchir. Le sentiment qui lui fait désirer Dieu l'emporte sur le sentiment qui lui fait appréhender le trépas. L'im­pression pénible restera peut-être, mais moins invincible que je le suppose. — N'y a-t-il pas encore quelques moyens pour l'atténuer ?

Quand un enfant tremble de peur à cause du bruit qu'il croit entendre dans le lieu voisin, on le guérit en le prenant par la main et en le faisant juge sur place de son erreur. Ainsi, il m'est utile de voir mourir, et surtout d'aider à mourir.

C'est une des plus saintes choses de la charité que d'apparaître et de se tenir au milieu de l'agonie d'un frère et de l'assister jusqu'au dernier souffle. On lui présente le crucifix, on lui montre le ciel en disant : Courage ! On mur­mure à son oreille ces trois termes, qui ont Dieu pour objet : Je crois, j'espère, j'aime ! Tous les trois, s'ils n'ont pas rempli le cours de la vie, doivent en remplir la fin. Et maintenant, « partez, âme chrétienne !... » (A suivre)

Extrait du : LES CRUCIFIX de l’abbé Chaffanjon. (1925) CHAPITRE VIII

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28 juin 2015 7 28 /06 /juin /2015 13:31

Le Crucifix remplace et résume toutes les choses religieuses que je n'ai plus. Il me tient lieu de l'église, dont j'aimais les parvis ; de l'autel et du taber­nacle, qu'il m'était doux de regarder, et que je ne verrai plus; des assemblées chrétiennes dont je suis privé; des livres saints, que je ne puis ouvrir. Parce qu'il me reste, je subis sans amertume toutes ces privations. Quelle place importante il occupe dans ma maladie ! Il est mon Psautier et mon Évangile. Je le prends, je le quitte; j'y reviens des mains, des lèvres et surtout du cœur; car il y pro­voque mes invocations et les reçoit; il prie et me fait prier. Que dis-je ? Il m'or­ganise dans ma maladie et ne souffre pas que je laisse en retard la question essen­tielle qui se traite avec le prêtre, et la question temporelle qu'il ne m'est pas permis de négliger. Toutes ces décisions s'affirment par des traits rapides qui par­tent de la sainte image, et que je ne sais pas même lui attribuer, dans les heures brisées du jour, ou dans les longues insomnies de la nuit, alors qu'il est seul à veiller avec moi. Car il faut en avoir fait l'expérience pour comprendre jus­qu'à quel point le crucifix et le malade se conviennent.

Et ce n'est pas tout ; mourir longue­ment est chose dure et dangereuse. Le caractère et l'esprit sont exposés à flé­chir, l'un dans la pusillanimité, l'autre dans l'aigreur; de là le découragement pour la volonté. On accuse le temps, les remèdes, les personnes et soi-même. Trop souvent les exigences dépassent toute mesure, et les prétentions se font dérai­sonnables. De son lit, on veut encore gouverner et juger ce qu'on ne voit pas et ce qu'on ne sait plus.

Le malade chrétien qui en vient là donne un lamentable spectacle. Ce serait l'heure au contraire de se montrer un autre jésus-christ, puisqu'il est un autre crucifié. Pour cela, il lui faut son modèle et son guide. Le rôle du crucifix est ici incontestable. Lui seul ramène dou­cement le malade à la patience, qui lui échappe ; il lui inspire la bonté recon­naissante pour ceux qui le servent; il calme ses agitations inquiètes ; il arrête soudainement la plainte ou lui donne son caractère chrétien; il met sur le vi­sage du patient un reflet de douceur em­prunté au visage de jésus-christ; il dompte enfin toute cette nature humaine, si peu endurante et si facile aux écarts. Faire de cet homme de douleurs un saint, c'est un grand triomphe obtenu dans ces moments où, de la part de l'homme, tout semble rendre le triomphe impossible. Et c'est aussi un grand spectacle qu'un chrétien aux prises avec la souffrance, gardant la force de son âme, simple et sans phrase dans l'épreuve, docile comme un enfant à l'action de la croix.

Dans ce grand travail de sanctification — et au milieu des prospérités de la vie, il ne fut jamais si grand — il se produit une disposition bien digne de remarque. La pensée de la mort vient tempérer l'actualité de la maladie; la perspec­tive redoutable apaise la réalité cruci­fiante. Le disciple veut mourir comme son Maître; il veut donc aussi souffrir comme lui.

La souffrance, qu'est-elle, sinon un purgatoire et une réparation ? Puisque le temps est encore là et qu'il presse, le chrétien va se hâter d'être bon. Il est au vestibule du ciel, il le sent ; c'est la dernière heure de l'ouvrier à la vigne du Seigneur, la dernière pour s'accuser de n'avoir pas aimé, la dernière pour aimer.

Oh ! Comme alors les avertissements de l'Évangile sont pieusement entendus : « Faites de dignes fruits de pénitence. »

— « Le royaume de Dieu est proche, veillez ; vous ne savez ni le jour ni l'heure. » — « Heureux le serviteur que le maître, en rentrant, trouvera dans une veille consciencieuse ! »

Nous nous trom­pons, comme des hommes qui n'ont pas les réflexions du dernier moment, quand nous pensons qu'un tel langage va effrayer le chrétien mourant, en ruinant ses espérances de vie. Peut-être, en effet, n'avons-nous pas le ton qu'il faut pour lui dire que tout va finir. Mais présen­tons-lui son Livre, et il saura se résigner et attendre «la lampe dans les mains ».

O mon frère, quand viendra pour vous la maladie, souvenez-vous du crucifix. (A suivre.)

Extrait du : LES CRUCIFIX de l’abbé Chaffanjon. (1925) CHAPITRE VIII

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26 juin 2015 5 26 /06 /juin /2015 19:09

Au-dessous des pieds de mon cruci­fix sont disposés deux ossements, et l'effigie d'une tête de mort les domine. J'ignore quel est le chrétien qui, le pre­mier, eut l'idée de clouer ainsi à la croix le spectre de la mort. Deux raisons, sans doute, ont suggéré cette pieuse inven­tion. La lugubre image est placée là, comme un trophée aux pieds du vainqueur, et semble redire la parole dus saints Livres : O mort ! Où est ta victoire ?

Elle est placée là, pour apprendre que ce n'est pas ailleurs qu'il faut réfléchir à sa fin prochaine, et méditer les années éternelles. Toute étude du trépas, faite sans référence au crucifix, laissera au cœur de celui qui s'y livre peu de consolation et encore moins de courage.

Écarter cette redoutable perspective, je ne le puis pas ; m'en étourdir dans une vie de plaisir et d'affaires, je ne le veux pas ; emprunter les ressources d'une phi­losophie naturelle et me poser en Socrate devant la coupe empoisonnée me semble vide et mensonger ; je ne saurais ni prendre ni soutenir un tel personnage.

Poussé par le temps, comme un pauvre débris qui tous les jours perd quelque chose, je ne veux aller qu'à vous, ô mon maître, pour méditer sur l'appel suprême et pour m'y préparer. Vous seul pouvez l'entourer de grandeur, de force et d'espérance ; vous seul savez calmer les terreurs du condamné. C’est donc dans vos bras, à vos pieds, près de votre côté entr'ouvert, que je viens aborder l'irrémissible décret : « Il a été statué que l'homme mourrait une fois, et après cela le jugement». (Saint Paul aux Hébr., IX, 27.)

I

Je ne dissimulerai pas que la mort est pour moi pleine d'épouvante, et je veux dire simplement, au pied du crucifix, tout ce que je redoute.

Je crains non seulement la mort, mais ce qui la précède, je veux dire la mala­die ou l'infirmité incurable qui m'use peu à peu. En allant au fond de ce malaise, touchant la destruction, peut-être devrais-je conclure que je crains la lutte doulou­reuse et prolongée plus que la mort elle-même. Et cependant, si Dieu me donnait de régler le cérémonial de mes derniers moments, j'ignore à quoi je saurais me résoudre. Choisirais-je le mal qui foudroie, ou le mal qui procède avec mesure ? Celui dont on sent toutes les pointes acérées, ou celui qui laisse inconscient ?... Il est juste, ô mon Dieu, et il m'est bon que vous soyez le seul maître de tout cela.

J'ai besoin de me faire ce tableau d'avant la tombe, parce qu'il est plein d'enseignements.

Je suppose donc que je m'en irai de ce monde par la maladie; elle commence: que le nom du Seigneur soit béni ! Le mal et l'art de guérir vont se disputer à la fois un pauvre corps, victime forcée de leur expérience et de leurs épreuves.

C'est la lutte; non pas debout, mais dans cette position que l'homme accepte, la nuit, pour prendre son repos, et qui, le jour, devient son humiliation. Me voilà livré à ceux qui ont la charité de me servir. Les murs d'une chambre devien­nent mon seul horizon. C'est ici que va se dérouler, heure par heure, le drame obscur de ma passion.

Si jusque-là j'ai manqué de règle et de modération, il faudra m'y soumettre ; mes désirs seront traités comme les caprices d'un enfant. Pendant le jour, j'aurai au­tour de moi des visages connus, mais pendant la nuit ce sera une figure étran­gère : heureux si elle m'apparaît sous le voile d'une fille de la charité. Le plus sou­vent, tout se fera à l'encontre de mes goûts ; quand je voudrai être seul, les visiteurs se multiplieront ; quand je suc­comberai sous le poids de l'isolement, l'isolement se prolongera.

Et j'entendrai autour de moi le mou­vement de la vie agissante. Quels regrets de n'y point participer ! Quelles réflexions sur ce bien temporel de la santé, appré­cié seulement quand on ne l'a plus ! N'est-ce pas douloureux que cette sus­pension forcée dans la pratique de sa vie, de son travail, de ses plaisirs, de son cer­cle d'amis? Tout est supprimé, moins les préoccupations, aussi vaines que déchi­rantes. Pourquoi la nature est-elle la même, et le soleil aussi radieux, et les hommes aussi empressés? Volontiers, on s'en étonnerait, car on ignore toujours combien est petite la place qu'on occupe en ce monde. Comment échapper à moi-même et me distraire ? Lire ? Je ne le puis. Soutenir une conversation ? Mes forces s'y refusent. Voilà donc un chrétien aux abois ? Non, s'il sait se faire une sainte pratique du crucifix. Sans doute on peut être malade sans lui, mais on n'est grand dans la maladie que par lui. (A suivre)

Extrait du : LES CRUCIFIX de l’abbé Chaffanjon. (1925) CHAPITRE VIII

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20 juin 2015 6 20 /06 /juin /2015 14:55
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15 juin 2015 1 15 /06 /juin /2015 18:07

Les confessions de Saint Augustin… Je résolus « en votre présence » de rompre sans bruit avec la foire aux bavardages, d'en retirer doucement le ministère de ma langue. Je ne voulais plus que des enfants qui n'avaient en tête ni votre loi, ni votre paix, mais des folies mensongères et des batailles de forum, achetassent de ma bouche des armes pour leur fureur. Par chance il ne restait plus que quelques jours pour arriver aux congés de la vendange. Je décidai de patienter jusque-là. Je m'en irais alors selon l'usage, mais, racheté par vous, je ne reviendrais plus me vendre désormais.

Tel était mon dessein. Je l'avais conçu devant vous; mais parmi les hommes, seuls nos intimes le connais­saient, et il était convenu entre nous qu'on n'en laisserait rien transpirer. Pourtant, à l'heure où nous remontions de la vallée de larmes en chantant « le cantique des degrés » vous nous aviez donné « des flèches aiguës » et « des charbons destructeurs » contre la langue per­fide qui, sous prétexte de conseils, ne sait que criti­quer, et — tant elle vous aime ! — vous dévore, comme elle fait d'un mets.

Vous aviez blessé notre cœur des traits de votre amour; nous portions vos paroles fixées dans nos entrailles, et les exemples de vos serviteurs devenus par vous d'enténébrés resplendissants, et de morts vivants, s'amas­saient au fond de notre esprit en une sorte de bûcher, qui enflammait et consumait notre torpeur dont le poids ne nous inclinait plus vers les bas-fonds. Nous brûlions d'une telle ardeur que le souffle de la critique qui s'élève d'une langue perfide, au lieu d'éteindre ce feu, l'aurait plutôt attisé.

Cependant la gloire de votre nom étant, grâce à vous, répandue par toute la terre, il se serait rencontré aussi des gens pour louer notre projet et notre plan. Il y aurait donc eu apparence de vanité à ne pas attendre les très proches vacances. Quitter avant cette date une profes­sion publique et très en vue, c'eût été attirer sur ma conduite tous les regards et la livrer aux commentaires. On aurait dit que j'avais intentionnellement devancé les congés imminents des vendanges, par désir de me faire valoir. A quoi bon donner mon cœur en pâture aux jugements téméraires et aux disputes et « faire blas­phémer mon bien » ?

Au surplus, en ce même été, le surmenage du profes­sorat avait attaqué mes poumons : je respirais mal, des douleurs de poitrine attestaient la maladie, et je ne pouvais plus parler d'une voix claire ni d'une façon soutenue. J'en avais été d'abord bouleversé, en me voyant à peu près contraint de déposer le fardeau de l'ensei­gnement, au moins pendant quelque temps, dans le cas où je pourrais guérir et retrouver mes forces. Mais dès qu'eut pris naissance et vigueur en moi la pleine volonté « de me rendre libre de mon temps et de voir que vous êtes le Seigneur », alors, vous le savez, mon Dieu, je me réjouis d'avoir une excuse sincère pour tem­pérer le mécontentement des familles. Le souci de leurs enfants ne les laissait pas consentir à ma liberté. Plein de cette joie, je prenais en patience le temps qui restait à courir — peut-être vingt jours ; mais il me fallait du courage, car je n'étais plus soutenu par l'amour du gain, qui m'aidait d'ordinaire à supporter mes lourdes besognes, et elles m'auraient accablé, si la patience n'avait suivi.

Un de vos serviteurs, et un de mes frères, dira peut-être que j'ai péché en acceptant, le cœur plein de votre service, d'occuper une heure de plus ma chaire de men­songe. Je ne veux pas en disputer. Mais vous, Seigneur très miséricordieux, ne m'avez-vous pas pardonné et remis dans l'eau sainte ce péché-là, avec tant d'autres horribles et mortelles faiblesses ? (A suivre)

Extrait de : Les confessions de Saint Augustin.

LIVRE NEUVIÈME, CHAPITRE II

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