Ces lignes ne s'adressent pas aux « grands pécheurs » qui viennent se décharger auprès du Christ d'un lourd fardeau. Et pas même aux catholiques de l'unique confession pascale. Mais peut-être pourront-elles offrir quelque utilité aux personnes qui ont « l’habitude » de la confession, hebdomadaire, bimensuelle ou mensuelle.
« L'habitude » : mot sans couleur s'il désigne simplement une louable régularité ; mot tristement gris s’il désigne une routine. Et malheureusement, chacun sait qu'une louable régularité dégénère facilement en routine. La plupart des pénitents se désolent sur la misérable banalité de leurs confessions, sur le peu de fruit qu'ils en retirent, et même parfois sur le peu d'intérêt de l'exhortation que le confesseur leur adresse quand ils viennent le trouver. Plusieurs en prennent le dégoût, ne se confessent plus que par coutume, ou, finalement, arrivent à espacer leur recours au sacrement de pénitence d'une manière qui est préjudiciable à leur progrès spirituel.
Ce dégoût et ses conséquences ne viennent-ils pas de ce qu'ils ne savent pas se confesser ? Il y a une manière, un « art », qui ferait de cet exercice régulier un sérieux moyen de sanctification. En écrivant ces lignes, nous avons songé particulièrement à cette nombreuse jeunesse – jeunesse d’action catholique, jeunesse des foyers nouveaux – qui cherche à vivre un christianisme vrai, dans un généreux effort de sincérité. Point encore « habituée » elle souffre de toute menace de sclérose, elle a horreur des routines et rejette les formalités. Elle a raison. Mais il faut qu'elle sache que le formalisme s'introduit par la faute des « usagers », si j'ose dire, et qu'il dépend d'elle de garder intacte sa vitalité religieuse ou de la laisser s'étioler, faute d'un effort personnel.
Les rites sont porteurs de vie, mais aux seuls vivants.
L'usage de la confession, si elle est bien comprise, peut être un sérieux appui pour le développement de la vie spirituelle.
*
* *
Mais d'abord, puisque nous allons parler de la confession et rien que de la confession, il faut noter soigneusement qu'elle n'est pas tout le sacrement de pénitence, qu'elle n'en est même pas l'élément principal. Celui-ci comporte un regret, un aveu, une absolution, une réparation. Le sacrement est constitué essentiellement par une absolution effaçant la faute d'un cœur qui se repent. Qu'un pénitent – sur son lit de mort, par exemple – ne puisse exprimer son aveu, le sacrement peut se passer de cet aveu ; il ne peut se passer du regret. Dieu, de son côté, peut se passer du sacrement (en l'absence de tout prêtre qualifié pour le donner) : il ne peut sauver une âme malgré elle, remettre un péché qu'on refuse obstinément de regretter.
Feront bien de s'en souvenir ces personnes pour qui l’essentiel semble être leur accusation. Que le prêtre les exhorte à la contrition, aux moyens à envisager pour ne pas retomber dans leur faute, elles paraissent ne pas le suivre, distraites qu'elles sont, une fois leur accusation faite, par le souci d'énoncer encore tel ou tel péché qui n'est pas d'abord venu sur leurs lèvres. S'il s’agissait d'une faute grave, il serait normal qu'on ne voulût pas se retirer avant de l'avoir exprimée ; mais le plus souvent il s'agit de fautes vénielles. On s'inquiète surtout d'être complet ; il faut s'inquiéter surtout d’être contrit.
Et on en tirera cette conséquence que, dans les quelques instants que l'on consacre d'ordinaire à se préparer immédiatement à sa confession, on fera bien de ne pas tout donner à « l'examen de conscience », mais plus encore d'implorer la grâce de Dieu pour obtenir un sincère regret de ses fautes, d'exprimer par avance sa contrition, son intention de ne pas retomber.
I
À qui vais-je m'adresser pour me confesser ?
Première réponse : à un prêtre. J'emploie à dessein ce terme général pour souligner que l'importance primordiale, dans l'usage du sacrement de pénitence, doit être accordée, non aux qualités de l'homme qui entend la confession, mais à sa qualité de ministre du Christ. Parce que nous manquons de foi, nous nous attachons exagérément à la valeur humaine du confesseur, valeur réelle, objective, ou valeur que lui attribuent notre sympathie et notre confiance. Qu'elle soit à prendre en considération, c'est indéniable, Mais à un point de vue qui se situe pour ainsi dire en marge du sacrement. Elle va jouer pour les conseils qui suivront l'accusation et précéderont l'absolution. Mais le sacrement n'est pas constitué par ces conseils ; il peut même s'en passer totalement. L'important est d'avoir affaire au Christ qui détient le pardon, au Christ vivant et agissant dans son Église.
Tout prêtre ayant reçu de l’Église les pouvoirs de vous absoudre validement agit in persona Christi, au nom du Christ. Il ouvre pour votre âme la source du pardon qui est le sang du Christ Rédempteur et il la lave dans ce sang.
Erronée par manque de foi est donc l'attitude de ces pénitents qui diffèrent de se libérer d'un péché grave ou qui retardent indéfiniment une confession qui les sortirait d'un malaise grandissant (en les purifiant des foyers d'infection qui se propagent peu à peu) parce que « leur confesseur » n'est pas là. S'ils avaient la compréhension de ce qu'est le sacrement, souverainement valable dans son oeuvre purificatrice indépendamment de la qualité du prêtre qui l'administre, s'ils comprenaient que le confesseur est avant tout « ministre du Christ », c'est-à-dire oreille du Christ pour entendre l'aveu, sagesse du Christ pour juger, bouche du Christ pour prononcer l'effacement, ils s'attacheraient moins aux apparences humaines et ne différeraient point.
C'est le lieu de dire d'un mot pourquoi je dois avouer mes fautes à un prêtre, au lieu de me contenter d'un aveu directement exprimé à Dieu dans l'intime de mon cœur. C'est parce que je suis membre de l’Église.
Ma faute a offensé Dieu et m'a abîmé moi-même : manquement à l'amour que je dois à mon Créateur et au vertueux amour que je dois porter à cet enfant de Dieu que je suis. Mais elle a aussi porté atteinte à l'Église, au Corps mystique. « Toute âme qui s'élève élève le monde. » Tout chrétien qui déchoit contrarie la perfection de la communauté chrétienne. Le plus obscur des péchés cause une blessure à cet arbre dont je suis un rameau. Que je me détache de l'arbre complètement par le péché mortel ou que je m'en sépare un peu seulement, l'arbre entier souffre. Je relève de l’Église dans ma vitalité, car Dieu a confié pour moi ses grâces à l'Église, corps du Christ. J'en dois donc aussi relever pour sortir de ma faute. Aux premiers siècles, cette responsabilité devant l'Église apparaissait plus manifestement, lorsque l'accusation était publique, faite devant la communauté réunie. Actuellement, la discipline est adoucie, mais c'est toujours devant l'Église que je m’accuse en la personne du prêtre qui m'entend, de l'Église que je reçois la réconciliation par le ministère du prêtre qui m'absout.
Je me confesse donc au prêtre parce qu'il est prêtre. Cela ne m'interdit pas de le choisir humainement capable de me comprendre et de me conseiller. Ne parlons pas ici, puisque ce n’est pas notre objet, de ce qu'on appelle (un peu improprement, peut-être) la « direction ». Même en restant strictement sur le plan de la confession, il vaut sûrement mieux, pour les progrès de l'âme, qu'elle s'adresse habituellement au même confesseur. Au bout de quelque temps (pourvu qu'on ait suivi, dans la manière de s'accuser, les conseils que nous donnerons plus loin), il sait à qui il a affaire. Il connaît vos tendances, vos faiblesses habituelles. Même si vous avez peu de choses à dire, il sait sur quel point il est bon d'insister dans son exhortation. Vous avez dévoilé peu à peu les difficultés dans lesquelles vous vous débattiez, votre situation particulière : il ne risque pas, comme un étranger qui vous comprendrait mal, de vous dérouter par quelque remarque intempestive. À un moment difficile de votre vie, il peut vous arrêter à temps sur une pente dangereuse. Et à tout moment il est à même de vous suggérer les décisions opportunes, de vous tirer de votre torpeur si vous vous laissez endormir.
Comment le choisirez-vous ? Avant tout de sens droit, de jugement sûr. Saint s'il est possible, c'est bien clair, mais un prêtre équilibré et perspicace sera toujours préférable à un autre d'une vie plus fervente mais, d'un jugement moins pondéré. N’oubliez pas qu'il s'agit d'un conseiller, et que, tant vaut la sagesse du conseiller, tant vaut le conseil. Mais il s'agit aussi d’un entraîneur, et vous devez le souhaiter exigeant : un confesseur bonasse, qui se contenterait de vous bercer de paroles lénitives ou de vous renvoyer avec l'absolution et une exhortation générale, risquerait de vous laisser croupir dans votre péché ou vos graves imperfections. C'est pourquoi il faut, au besoin, provoquer le confesseur à cette exigence bienfaisante et accepter humblement ses invitations à l'effort. Vous vous souviendrez que la première condition à réaliser pour qu'il vous soit utile, c'est que vous lui fassiez confiance. Ayez le meilleur confesseur de la ville : s'il vous est impossible de vous ouvrir à lui franchement, il ne pourra rien pour vous. Vous le choisirez donc tel que vous ne vous sentiez pas paralysé en sa présence et que volontiers vous le considériez comme un Père, compréhensif, capable de réaliser votre cas et de s'y intéresser, ouvert aux réalités de la vie, sûr dans ses diagnostics, et d'une bonté ferme dans ses conseils.
Si vous ne le trouvez pas, ne vous désolez pas pour autant ; allez à un prêtre : il a grâce d'état, l'Esprit Saint se servira de lui quand même pour votre meilleur bien, pourvu que vous soyez à l'écoute.
Si vous le trouvez, n’en changez pas facilement. Tout en restant pleinement libre d'un autre choix, ne vous laissez pas démonter par quelques impressions, à plus forte raison par quelques froissements d'amour-propre ou par quelques exigences ; persévérez jusqu'à preuve évidente que vous ne faites aucun progrès à son école, malgré un effort loyal et constant de votre part.
II
Me voici auprès du confessionnal, commençant mon examen de conscience. Quels péchés vais-je accuser ?
La question se pose, c'est clair. Car je ne saurais prétendre accuser toutes mes fautes. « Le juste pèche sept fois le jour », dit l'Écriture. Moi qui ne suis pas juste, combien de péchés m'échappent chaque jour ? Être complet, faire un total aussi exact que possible : rêve irréalisable – et d'ailleurs inutile. Il faut choisir. Que choisir ?
Évidemment d'abord tous les péchés mortels. Refuser volontairement d'accuser un péché mortel, même si on en accuse d'autres d'une égale gravité, serait rendre la confession nulle et sacrilège. Cet acte par lequel nous nous sommes détournés de Dieu, notre fin dernière, en lui disant équivalemment et bien consciemment qu'il nous était égal de lui désobéir en une matière grave, pourvu que nous puissions satisfaire l'une ou l'autre de nos tendances désordonnées – comment pourrions-nous rentrer en grâce avec Dieu sans le renier et donc l'avouer ? Nous ne pouvons à la fois être en amitié et en hostilité avec Lui.
La difficulté, pour certains, est de savoir quand il y a péché mortel. Théoriquement, chacun sait : matière grave, pleine connaissance, plein consentement. Pratiquement, on se demande souvent : la matière était-elle grave ? Et plus communément encore : ai-je bien consenti ? Sur la première question, il est aisé de se renseigner auprès de son confesseur. Quant à la seconde, du fait qu'on se la pose « en conscience », loyalement, du fait qu'on n’est pas absolument sûr, elle est réglée : il n'y a pas eu plein consentement. Est-ce à dire qu'il ne faut pas accuser ce péché « douteux », ou plutôt « douteusement commis » ? Certes non ! On peut s'autoriser légitimement du doute pour s'approcher du sacrement d'eucharistie ; en rigueur de termes, on n'est même pas obligé de s'accuser de ce péché ; mais on aurait tort, si l'on veut progresser dans la vie spirituelle, de se réfugier derrière cette non obligation pour conserver une conscience douteuse. Pratiquement, la règle est bien simple. On ne vous demande pas de dire : je m'accuse d'avoir commis un péché mortel, mais : je m'accuse d'avoir commis tel péché, d'avoir accompli tel acte. Qu'on ajoute, si c’est le cas : je ne sais pas si j'ai pleinement consenti, et tout sera dans l'ordre. Nous serons toujours à temps de répondre selon notre conscience, si le confesseur nous demande : croyez-vous avoir, en agissant ainsi, péché mortellement ?
Que penser de la formule, si chère à certains qu'ils l'emploient constamment et quasi automatiquement : « Je m'en accuse comme Dieu m’en reconnaît coupable. » Utilisable à bon droit quand on hésite sur le caractère de sa culpabilité, elle me paraît trop facile et quelque peu hypocrite quand on sait fort bien à quoi s'en tenir.
Disons par contre, à l'usage de certaines âmes, qu'il ne faut pas voir du « mortel » partout... Un péché qui mérite, de soi, la séparation d'avec Dieu pendant l'éternité et les peines de l'enfer, cela ne se commet pas sans qu'on en ait une claire conscience ! Si cette conscience a besoin d'être formée, on demandera la lumière à son confesseur et l'on s'en tiendra strictement à ses indications. Cette formation de la conscience devrait être faite dans le jeune age. On est stupéfié, en entendant des confessions d'enfants, de leur aptitude à croire mortelles des fautes qui ne sont que des peccadilles... N'y a-t-il pas là (soit dit en passant) une responsabilité qui remonte aux éducateurs, qui ne savent pas proportionner leurs gronderies à la valeur réelle (morale) des fautes enfantines ? En tout cas, ce problème de la formation de la conscience chez l'enfant devrait faire l'objet d'un examen attentif et individuel de la part des parents et des confesseurs habituels, car il est aussi dangereux de laisser les enfants croire à la gravité de fautes légères que de les laisser commettre comme indifférents des actes gravement répréhensibles. Une conscience scrupuleuse, angoissée, dans le jeune âge, prépare un adulte faible, replié, sans virilité, ou, par contrecoup, un adolescent qui se « libère » brutalement d'une contrainte insupportable.
Mortels ou non, on fera bien de s'habituer à accuser d'abord, en tout premier lieu, les fautes qui pèsent le plus sur la conscience, au lieu de les glisser comme par mégarde au milieu d'une longue liste de péchés sans importance... Ainsi se libérera-t-on à coup sûr de fautes qu'autrement on risquerait, cédant à une crainte sotte, de ne pas dire finalement.
Mais c'est surtout sur l'examen et l'accusation des péchés véniels que je voudrais insister ici. N'est-ce pas là que la plupart des « habitués » de la confession sont le plus déficients ?
Quelle est la doléance qu'on entend le plus souvent dans la bouche de ceux qui se confessent fréquemment ? – « La confession m'ennuie, parce que j'ai toujours à dire la même chose... » Ou encore cette autre, qui vise le confesseur : « Il ne me dit rien... » Entendez : rien qui sorte de l'ordinaire et qui m'oblige à me secouer.
Or, à ces deux défauts qui rendent la confession psychologiquement fastidieuse, la cause est la même : vous ne savez pas vous accuser.
Comment s'accusent la plupart des pénitents ?
Les uns (le petit nombre, il est vrai) oublient que le péché est un acte, non un état, et ils présentent (ou croient présenter) la couleur de leur âme en disant : « Je suis menteur, le suis coléreux, je suis impatient, etc... » Cette manière de dire n'est pas celle qui convient. Vous signalez ainsi une tendance de votre âme ; mais la confession n'est pas un exposé de vos tendances : c’est l’aveu d'actes précis, résultats sans doute de vos tendances, mais différents d'elles comme le fruit l'est de l'arbre. On peut très bien avoir une tendance au mensonge (être menteur) et n'avoir pas commis de mensonges, de fait, dans les quinze jours qui ont suivi la dernière confession. Si on en a commis, c'est « j'ai menti » qu'il faut dire, et non « je suis menteur. »
A suivre
elogofioupiou.over-blog.com