Comprendre est toujours le résultat d'une victoire. Se comprendre, soi, et prendre une pleine conscience de son cas, de sa situation et de son être, c'est nécessairement s'être vaincu.
Qu'appelle-t-on se vaincre ? Ce n'est nullement se diminuer, ni à plus forte raison s'abolir. L'anéantissement de notre caractère et sa réduction à une moyenne grise ne profiterait à rien ni à personne. Il nous faut être nous, pour réaliser ce qui est attendu de nous et que nul à notre place ne peut fournir à la Providence. Nous vaincre, c'est au contraire nous hausser, par l'élimination de ce qui nous abaisse, par le redressement de ce qui incline nos facultés hors de leurs vrais objets. Nous vaincre, c'est nous retrouver. Notre ennemi abattu — le mal — nous entrons par le bien en la vraie possession de nous-mêmes. Une chose en bon état, n'est-ce pas purement et simplement cette chose, à la place de sa falsification ou de son rebut ?
Or, on ne peut assez l'observer et s'en pénétrer, c'est ce moi véritable et victorieux qui est en nous le clairvoyant. L'autre, faussé, est toujours plus ou moins aveugle; c'est à lui qu'appartiennent les fraudes et les hypocrisies que nous avons dénoncées, le refus des jugements droits, la partialité en faveur de notre amour-propre et de nos passions pécheresses.
Mais alors, ne s'ensuit-il pas que pour voir clair et être pleinement sincères avec nous-mêmes, il faudrait être parfaits ? Et en retour, pour devenir parfaits, pouvons-nous bien nous passer de sincérité envers nous-mêmes ? Étrange cercle vicieux! On nous demande d'acquérir ce qui est une condition préalable d'acquisition; on veut qu'il fasse jour en nous pour que le soleil intérieur se lève!
C'est vrai. On ne peut nier qu'il y ait là une de ces causalités réciproques comme il y en a beaucoup dans la vie. Mais précisément la vie y est experte. Elle franchit le cercle. La nutrition exige un estomac fort, et la force de l'estomac exige une nutrition heureuse.
Que fait la vie ? Elle part d'une petite force d'assimilation : celle du germe: elle l'accroît par la nutrition, et elle accroît ainsi la nutrition même. D'étape en étape, le vivant se nourrit mieux et le vivant est plus fort.
Ainsi notre âme dans sa vision intérieure. Un peu de vertu et de sincérité au départ; un effort continu et progressif dans les deux sens : effort pour voir, effort pour se dégager de ce qui empêche de voir, et l'on rompt le cercle, ou pour mieux dire on le fait passer de l'état « vicieux » à l’état triomphant; c'est lui-même qui est agent de victoire.
Dieu s'est chargé de nous fournir le commencement; avec nous il collabore à la suite et il attend la fin. C'est lui qui voit en nous par nous.
Extrait de : RECUEILLEMENT. Œuvre de A. D. Sertillages O.P. (1935)
elogofioupiou.over-blog.com