JE CROIS EN JÉSUS-CHRIST…
Nous voici au cœur même du Credo, à ce qui va lui donner sa plénitude de signification. C'est pourquoi je voudrais vous faire remarquer tout de suite la profondeur de cette double appellation, sur laquelle nous passons trop rapidement, en général : Jésus-Christ. Ce n'est pas simplement une manière quelconque de désigner Nôtre-Seigneur, ni même de le distinguer des autres Jésus mentionnés par l'Histoire, tel ce Josué (dont on a déformé le nom primitif) qui introduisit les Hébreux dans la Terre Promise.
En disant : Jésus-Christ, nous faisons plus que de nommer le Christ ou Jésus; nous disons de lui quelque chose. C'est un titre plutôt qu'un nom. Je vous disais que c'est le cœur même du Symbole, parce qu'en effet c'est toute la substance du message que les Apôtres eurent à transmettre en leur prédication, Ils se mirent à annoncer aux Juifs, leurs frères, que Jésus était le Christ. Et les Juifs savaient ce que cela voulait dire.
Nous ne le savons pas, nous, parce que nous connaissons mal l'Ancien Testament. Que disions-nous la dernière fois ? « Je crois en Dieu le Père Tout-Puissant, créateur du ciel et de la terre. » Avez-vous jamais pensé que Dieu aurait très bien pu en rester là de sa révélation; ne pas en dire plus long et nous laisser aux seules forces de notre raison. Est-ce ce qu'il a fait ? Nous savons au contraire qu'il s'est révélé à nous bien plus complètement et c'est ce qui nous oblige à remonter le cours de l'histoire du monde pour en prendre une vue .nouvelle, autrement large et compréhensive que nos simples vues humaines.
Or, dès que l'on entreprend ce survol de l'Histoire, un fait capital s'impose à l'esprit : l'existence d'un peuple absolument unique au monde, le peuple juif. Unique, il l'est à tous égards. Quelle autre race voyons-nous qui, avec un point de départ aussi insignifiant, se soit ainsi répandue à travers le monde entier ? Quelle autre race a jamais conservé au cours des siècles, presque sans altération, ses caractéristiques essentielles ? Quelle autre a su résister, comme elle, à l'influence des nations voisines, et a réussi, avec si peu de conquêtes, à prendre une place de premier plan dans l'Histoire !
Les Juifs, il faut le reconnaître, sous quelque aspect qu'on les considère, ne ressemblent à aucun peuple, et l'un des traits principaux de leur caractère national, c'est d'être toujours tourné vers l'avenir; ils regardent ce que cet avenir va leur apporter de bon, au lieu de gémir inutilement sur le passé.
De nos jours, une telle attitude d'esprit est peut-être moins surprenante, parce que nous sommes habitués à nous tourner vers l'idole du Progrès qui nous donne l'illusion, d'un monde en perpétuelle amélioration. Mais cette conception est tout à fait moderne; elle ne date guère que du XVIIIe siècle. Jusque-là, la tendance générale était plutôt de regretter le passé, comme si rien de meilleur n'était à espérer de l'avenir, Nous la trouvons déjà au temps d'Homère, où le monde cependant était encore relativement jeune. Toute la littérature classique est pleine d'allusions à un âge d'or, l'âge de Saturne, où les hommes ne connaissaient que l’honneur et où la guerre n'existait pas. Rien de semblable dans la littérature hébraïque, telle que nous la connaissons par l'Ancien Testament. Les Juifs savaient parfaitement que l'homme avait perdu le Paradis terrestre, c'était écrit en toutes lettres au troisième chapitre de la Genèse; mais ils ne s'attardaient pas à se lamenter sans fin sur l'événement, et c'est justement ce qu'il y a de plus typique dans leur cas. « Voici que des jours viennent. » « Des jours vont venir, dit le Seigneur... » C'est un refrain courant dans la littérature juive.
Parcourons rapidement l'histoire de ce peuple extraordinaire. Elle commence avec les patriarches : Abraham, Isaac, Jacob; autant de noms qui nous sont familiers. Nous imaginons fort bien ces personnages : Abraham, vieillard respectable, drapé dans sa dignité, mais probablement bien différent du type que nous lui prêtons. Ce devait être un rude chef du désert, qui avait installé ses troupeaux dans les plaines de Chanaan et les faisait paître, avec quelque trois cents hommes de son clan en sous-ordres. En apparence, un chef pareil à ceux de son temps et de son milieu. Mais si nous avions abordé Abraham, je gage que quelque chose nous aurait frappés en lui : cet homme vivait dans le futur. Sans doute nous aurait-il fait part de la promesse, reçue de Dieu, que sa race hériterait de toute la terre de Chanaan; mieux encore : il détenait cette autre promesse que de sa postérité naîtrait Celui en qui devaient être bénies toutes les nations de la terre.
Et le rêve s'était transmis d'Abraham à son fils Isaac et de celui-ci à Jacob. Sur la fin de sa vie, Jacob émigra en Égypte avec toute sa famille et y prospéra, parce qu'un lot considérable de bonnes terres lui avait été concédé; ce qui ne l'empêcha pas, en mourant, de faire jurer à ses fils que ses ossements seraient tôt ou tard rapportés en Chanaan. Pour lui, cette bande desséchée de la côte du Levant était une Terre Sainte, et il ne voulait pas reposer ailleurs.
Cependant, les descendants de Jacob étaient devenus impopulaires en Égypte et ils y furent bientôt réduits en esclavage. On les employait de force à des travaux pénibles, peut-être à bâtir les pyramides, Il fallut que le héros national, Moïse, les délivrât de cette servitude, en les conduisant à travers le désert d'Arabie. Ils devaient y errer pendant quarante ans, avant de s'établir pour de bon sur cette même terre de Chanaan, définitivement conquise, où leurs aïeux avaient fait figure de simples propriétaires de bétail. Mais sur le point de mourir, Moïse avait fait une singulière prédiction : n'avait-il pas annoncé que Dieu susciterait un prophète semblable à lui, et qu'à ce prophète-là le peuple ferait bien d'être attentif.
A partir de ce jour, les Juifs n'avaient cessé d'attendre le prophète qui serait un second Moïse. Tous ceux qui s'élevèrent dans la suite et il y en eut de fameux : Elie et Élisée, pour ne citer que les plus célèbres ne leur firent jamais prendre le change. Jamais ils ne virent en eux le Prophète attendu, celui qui devait sauver Israël et le délivrer de ses ennemis comme l'avait fait Moïse.
Le temps passa. Et les Juifs se mirent en tête d'avoir un roi. Le premier en tête de liste Saül ne fut pas un grand succès. Le second David devait au contraire faire figure de héros national; mais, chose curieuse, tout ce qui fut écrit de lui ou par lui le fait apparaître surtout comme l'ancêtre et l'image d'un autre roi, qui serait beaucoup plus grand que lui et régnerait d'une extrémité de la terre à l'autre.
A cette époque, on ne couronnait pas un roi sans l'oindre d'huile sainte. C'est pourquoi le grand Roi qui devait venir, le « Messie », fut appelé d'avance ce l'oint », Plus tard, lorsque les Juifs eurent appris le grec, ils traduisirent tout naturellement et littéralement « Oint » en « Christus », terme qui a la même signification. Dès lors ils n'attendirent plus seulement le prophète qui les délivrerait, mais le roi qui régirait le monde entier, un roi qui descendrait de la famille de David et que d'ores et déjà l'on désignait comme «le Christ ».
Le roi David a dû être à peu près contemporain d'Homère. Il vivait mille ans environ avant notre ère. Ces mille ans furent une rude époque pour les Juifs. Ils furent sans cesse envahis par les armées puissantes d'Assyrie ou de Babylone et finalement à peu près tous emmenés en captivité. Ce lamentable exil la captivité de Babylone dura environ cinq cents ans. Mais lorsqu'il leur fut permis de revenir dans leur patrie, les Juifs n'étaient plus qu'une nation insignifiante, en comparaison des années glorieuses qu'ils avaient connues jadis.
C'est surtout au cours de cette période d'épreuves que les prophètes avaient été nombreux. Et dites-vous bien que ces prophètes ne passaient pas leur temps assis à répéter : « Quel dommage ! Ce beau temps est fini ! Comme tout était bien aux jours de David et de Salomon ! » Au contraire, ils regardaient, eux aussi, vers l'avenir, ils disaient : « Comme ce sera beau, lorsque le Christ viendra nous délivrer ! »
Et de ces fugitives lueurs projetées sur l'horizon, car tout n'était pas clair, vous pouvez le croire, dans ce qu'annonçaient les prophètes, les Juifs apprenaient une foule de choses qu'ils n'avaient jamais réalisées jusque-là. Ils commençaient à comprendre que, s'ils étaient si souvent vaincus par leurs ennemis, c'était en punition de leur propre méchanceté : ils n'observaient pas la loi de Dieu, ils opprimaient les pauvres, ils adoraient des faux dieux, etc... Peu à peu ils en vinrent à comprendre aussi que le Christ devait les délivrer, non de leurs ennemis, mais de leurs péchés; que le règne de ce Christ serait un règne de justice et de paix, et pas du tout un temps de grandes vacances qu'ils passeraient à se divertir en se vengeant des nations qu'ils avaient opprimée».
Et puis, il y avait cette étrange histoire, particulièrement difficile à saisir, du Roi futur, du Christ qui devait souffrir, et réparer pour les péchés de son peuple. En même temps, il devenait de plus en plus clair que ce Roi, ce Christ, ne serait pas un homme comme les autres. Il viendrait du ciel, en quelque sorte, pour juger le monde. Il ressemblerait, au dire des prophètes, à un fils de l'homme, ce qui devait signifier, précisément, qu'il ne serait pas tout à fait comme n'importe quel fils de l'homme.
En somme, à cette époque, l'espérance d'Israël, passablement confuse encore, n'avait jamais été plus ferme. Si bien que, lorsqu’arriva le temps où devait s'accomplir la promesse, on pouvait voir de ces Juifs pieux dont l'Écriture dit «qu'ils attendaient la consolation d'Israël ». (Lc, II, 38.) Ils attendaient le Christ qui allait venir, sachant que l'heure prédite pour son avènement par le prophète Daniel avait sonné.
Vous savez tous ce que c'est que d'avoir égaré la clé d'un tiroir et d'essayer avec celles que l'on peut avoir sous la main. Tout le trousseau y passe, jusqu'à ce que, chance inespérée, une clé tourne enfin dans la serrure... On la dirait faite exprès ! Et le tiroir s'ouvre sans difficulté.
Eh bien ! C'est ce qui s'est passé dans l'histoire du peuple juif. Enfin une clé allait tout ouvrir, tout révéler. Un événement était survenu, qui allait exactement coïncider avec ce que l'on attendait. A Bethléem, un petit enfant était né d'une pauvre femme et on l'avait appelé Jésus. Cette mère si pauvre était de la race de David. Et on le savait si bien que, plus tard, les aveugles et les boiteux criaient : « Fils de David, ayez pitié de nous ! » (Mc, x, 47.) Ce n'est pas lui, Jésus, qui se donnait le nom de Fils de David. Lui-même se nommait le Fils de l'Homme (Mc, xvi, 27). Sans doute pour rappeler au peuple celui qui était attendu comme Juge d'Israël. Il parlait aussi de lui comme d'un prophète plus grand que Moïse, lorsqu'il disait aux fouies : « Moïse vous a dit ceci... Moi, je vous dis cela... » Et quand il questionnait ses disciples sur ce qu'ils pensaient de lui, n'est-ce pas le plus intime de ses familiers qui répondait : « Vous êtes le Christ » Il ne permettait pas alors qu'on lui donnât ce nom couramment, mais plus tard, lorsque les princes des prêtres l'assigneront en jugement et lui demanderont : « Êtes-vous le Christ ? » il dira : « Je le suis, et nous nous retrouverons.
face à face quand je viendrai pour juger. » (Mc, XIV, 62.)
Le fils d'Abraham, le fils de David, celui qui s'est appelé le Fils de l'Homme, qui s'était dit plus grand que le prophète, qui s'est donné pour le fondateur d'un royaume, le Christ, ce Juge du monde, c'est Jésus de Nazareth. Et c'est parce que nous croyons à tous ses droits et à tous ses titres que nous disons : « Jésus est le Christ ! »
Le petit enfant de Bethléem, c'est le Christ, l’Oint du Seigneur, que les Juifs ont attendu pendant des siècles. On a trouvé la clé qui devait ouvrir la porte et noue révéler sur la vie surnaturelle, sur le ciel, l'enfer et la rémission des péchés, tout ce qu'il nous importait de savoir.
Extrait de : LE CREDO Mgr Ronald KNOX. (1959)
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