Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés….
Aimez vos ennemis…
Le devoir du pardon est une des formes de cette obligation de la charité envers le prochain que notre divin Sauveur Jésus a promulguée comme un précepte nouveau, son précepte à lui : Ceci est mon commandement, le commandement nouveau que je vous donne : à savoir: que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés moi-même, et dont il a pris soin, pour que nous n'en limitions pas l'exercice, de déterminer lui-même l'étendue. Et moi je vous dis : Aimez vos ennemis ; faites du bien à ceux qui vous haïssent et priez pour ceux qui vous calomnient et vous persécutent. (Matt., V, 44.).
Certes, ainsi formulée, la loi est claire, elle n'admet aucune réserve, aucune limitation, et, dès lors, nous n'avons pas besoin d'en savoir davantage ; pénible ou non, la loi est portée, il faut nous soumettre sans prétendre entrer en discussion avec Dieu, car qui es-tu, ô homme, dit saint Paul, pour entrer eh contestation avec Dieu.
Mais, d'ailleurs, Jésus ne nous défend pas de fortifier sa loi de toutes les raisons de convenance qui nous apparaissent et qui peuvent aider à la soumission de nos esprits et de nos cœurs.
Vous nous faites donc, ô Jésus, une loi du pardon, et vous y attachez une récompense bien digne de nous tenter, une récompense qui nous est absolument nécessaire, et en cas de violation de la loi, une sanction qui, si nous la comprenons bien, doit nous faire frémir.
Et ce prix que vous mettez à l'amour des ennemis, au pardon des offenses nous montre assez combien vous y tenez. Mais pourquoi payez-vous de ce prix infini qu'est le ciel, puisque votre pardon à vous, c'est pour chacun de nous l'assurance du ciel, le pardon sincère que nous accordons à nos frères ? Ah ! C'est que ce pardon est, je le comprends, la condition de la paix entre les hommes qui doivent vivre ensemble, qui ne peuvent se fuir, et qui, par la faiblesse et la corruption de la nature, sous la poussée de l'intérêt, de l'ambition, de l'éosine, se heurtent, se blessent, s'opposent les uns aux autres. Il n'y a pas de paix possible dans la famille et dans la société,, si chacun s'arroge le droit de se faire justice lui-même, d'user de représailles ou même d'entretenir en son cœur des sentiments de haine et de rancune; une société où la loi du pardon n'est pas admise, observée, peut bien avoir les apparences de la civilisation ; en fait, ce que cachent ces apparences, c'est la barbarie. A l'opposé, quelle société idéale, parfaite, que celle dont tous les membres s'aimeraient les uns les autres, se supporteraient mutuellement, (Ephese., IV, 2), se pardonneraient réciproquement leurs torts ! Cette société idéale a existé ; cet esprit de paix a été la marque distinctive de la première communauté chrétienne, dont tous les membres ne faisaient " qu'un cœur et qu'une âme ", à la grande admiration des païens.
Et la paix sociale sera toujours, à la mesure de l'influence et de l'autorité que garde sur les mœurs publiques votre commandement: Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés!
Ainsi, ô Jésus, c'est notre bien que vous poursuivez par cette loi qui, parfois, nous paraît si rigoureuse, quand c'est nous qui avons à pardonner, et que nous savons bien revendiquer dans le cas contraire.
Mais d'ailleurs, que nous demandez-vous, ô Jésus ? Est-ce de nous prouver à nous-mêmes, parfois contre l'évidence, que notre prochain ne nous a pas offensé, ne nous a pas fait tort? Non certes, vous ne nous demandez pas de justifier le prochain, puisque, s'il était innocent, il n'y aurait aucun pardon à lui accorder.
Exigez-vous que nous aimions notre ennemi pour lui-même, que nous lui pardonnions pour lui-même ? Non encore, la personne qui nous offense, si nous la considérons en elle-même, n'a rien qui puisse nous attirer, et vous ne nous demandez pas l'impossible.
Bien au contraire vous nous dites : Pardonnez à celui qui vous a offensé, non parce qu'il le mérite, mais parce que je le mérite moi ; aimez-le, non parce qu'il est aimable, mais parce que je le suis, moi, et que je vous ai pardonné bien plus que vous n'aurez jamais à remettre à votre frère, et que je vous ai aimé, d'un amour sans limite, alors que vous étiez mon ennemi et que cependant vous n'étiez, par rapport à moi, qu'un être de néant qu'un souffle de ma colère eût suffi à renverser : oui, moi qui pouvais, en toute justice, te plonger pour toujours dans les supplices de l'enfer, je t'ai pardonné, et pardonné tant de fois, moi, ton Dieu ; n'est-il donc pas souverainement juste que tu pardonnes, toi aussi, des offenses infiniment moins graves.
Donc, ô Jésus, le principe de cette loi du pardon, c'est la substitution que vous établissez, par rapport à chacun de nous, du prochain dans tous vos droits.
Saint Paul écrivait à son disciple Philémon, au sujet d'Onésime : «Recevez-le comme moi-même.». S'il vous a déplu, s'il a contracté quelque dette vis-à-vis de vous, imputez-la moi, c'est moi qui acquitterai sa dette, et souvenez-vous d'ailleurs que vous aussi êtes mon débiteur.
Ainsi envisagée, ô Jésus, quoi de plus légitime que cette loi que vous promulguez pour notre bien ? Et que ce contrat est avantageux pour nous !
Mais d'ailleurs, vous n'êtes pas seulement pour nous un maître qui ordonne, vous êtes un modèle, vous pratiquez vous-même ce que vous nous commandez pour avoir le droit de nous dire : Je vous ai donné l'exemple, afin que vous fassiez vous-même comme vous me voyez faire.
Regardez toute ma vie et vous verrez que mon Cœur n'a jamais connu l'amertume et le ressentiment. J'ai pardonné à tous, j'ai pardonné toujours. J'aurais pardonné à Judas lui-même, si son cœur misérable n'eût désespéré de la bonté et de la miséricorde du mien. Sous la blessure de ce baiser homicide, par lequel il me livrait à ceux qui allaient me crucifier, ai-je eu un mouvement de colère, d'indignation, de répulsion ? Non, je l'ai appelé mon ami, pour essayer d'attendrir son cœur !
Et quand sur la Croix, suspendu par ces plaies affreuses, secoué par toutes les affres d'une agonie terrible, mourant de soif, torturé dans mon corps et dans mon âme, j'entendais les provocations de ceux qui m'avaient conduit là, après m'avoir abreuvé d'outrages, qui comptaient mes souffrances et attendaient avec d'horribles désirs que la dernière goutte de sang s'échappât de mes veines, qu'ai-je dit ? Ai-je appelé la colère, de mon père sur ce peuple ingrat qui n'avait reçu de moi que des bienfaits et qui me crucifiait ? Non, si je me suis tu, pendant ma Passion, au dernier moment, j'ai ramassé toutes mes forces pour une dernière supplication: «Père, pardonnez-leur, parce qu'il, ne savent ce qu'ils font !»
Oui, c'est bien vrai, ô Jésus, après ce pardon de vous à ces infâmes, le cœur qui ne sait pas pardonner n'est pas un cœur chrétien, il n'est pas vôtre.
Mais regardez encore. Je n'ai pas quitté la terre, je suis encore au milieu de vous, dans l'Eucharistie, et ma Passion n'a pas pris fin au Calvaire. De nouveaux Judas viennent encore m'imposer le baiser de leurs lèvres sacrilèges, de nouveaux bourreaux me crucifient ; est-ce que je les châtie, est-ce que je ne pardonne pas tous les jours, partout, tous les coupables, s'ils ne refusent pas mon pardon ? Est-il une âme, si coupable qu'elle fût, qui soit venue devant mon tabernacle, qui ait poussé vers moi un cri de supplication et qui n'ait pas entendu de suite, dans son cœur transfiguré, la réponse du mien ?
Oui, c'est encore vrai, ô Jésus, à vos pieds, vous contemplant, hostie adorable, et si douce, qui donc peut garder de l'amertume dans son cœur ? Celui-là ne croit pas à votre présence d'amour.
Mais vous nous donnez plus que vos exemples, ô bon Jésus, pour triompher de nos natures orgueilleuses et implacables ; vous nous donnez votre propre Cœur. Vous venez en nous, divine nourriture, fortifier tout ce qui est bon, détruire tout ce qui est mauvais ; vous venez combattre directement l'égoïsme, source de toutes les rivalités, de toutes les contestations, de toutes les antipathies, de toutes les haines, par la puissance de votre amour qui s'empare victorieusement de nos cœurs. Et là, dans ce tête à tête, dans ce cœur à cœur, quelle n'est pas votre puissance de persuasion, de pacification! Vous parlez, ô Jésus, et c'est pour dire : Celui que tu hais, celui contre lequel ton cœur se soulève, je l'aime comme je t'aime, toi ; je suis à lui comme je suis à toi; il m'a reçu comme tu m’as reçu toi-même; je me suis emparé de son cœur comme du tien; il est un autre moi-même, il faut l'aimer, si tu m'aimes.
Oh ! La puissance de la communion pour transformer les cœurs, les retourner, les dompter et leur faire en même temps bénir leur défaite ! Que d'exemples dans l'histoire de l'Eglise! Par exemple, cette coutume du moyen-âge, de sceller la réconciliation de deux ennemis par la communion reçue l'un à côté de l'autre.
Comme vous avez bien le droit, ô Jésus, de nous dire : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Vous êtes les membres d'un même corps, et ce corps, c'est mon corps mystique; vous êtes les grains de froment qui formez un même pain, et ce pain, c'est l'hostie de Dieu, ce pain, c'est vous et moi, moi en vous, vous en moi. Aimez-vous donc, pardonnez-vous, supportez-vous, servez-vous mutuellement, dépensez-vous les uns pour les autres. J'ai le premier donné ma vie pour vous, ayant d'abord donné sans compter mon temps, mes forces, mon labeur, ma parole, ma prière et mes larmes; n'ai-je pas le droit de vous demander de faire pour vos frères qui sont les miens ce que j'ai fait, ce que je continue à faire pour vous ?
Extrait du : Pater Médité devant le très Saint Sacrement. Père Albert Bettingger. (Imprimatur 1915)
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