Règle sure et générale pour discerner la vérité…
Quelle est la règle sure et générale pour discerner la vérité de la foi catholique d'avec la fausseté pernicieuse de l'hérésie ?
C'est de s'en tenir, avec la grâce de Dieu, à l'autorité de la loi divine et à la tradition de l'Église catholique.
Aux Écritures, il faut joindre l'interprétation de l'Église, parce que tous ne comprennent pas l'Écriture sainte de la même manière; il y a presque autant d'interprétations que d'hommes. Il est donc extrêmement nécessaire que l'interprétation des prophètes et des Apôtres prenne pour règle le sens catholique, le sens de l'Église. Dans l'Église catholique même, il faut s'en tenir à ce qui a été cru en tout lieu, en tout temps et par tous; car c'est là ce qui est vraiment et proprement catholique, suivant la force du mot, qui signifie universel.
Nous observerons cette règle, si nous suivons l'universalité, l'antiquité, le consentement. Nous suivrons l'universalité, si nous confessons comme seule véritable la foi que l'Église a professée, depuis son origine, dans tout l'univers; nous suivrons l'antiquité, si nous ne nous écartons en rien des sentiments manifestes de nos saints ancêtres et Pères; nous suivrons le consentement, si nous nous attachons aux définitions et aux sentences de tous les pontifes.
Que doit donc faire un catholique, si une portion de l'Église se sépare de la communauté de la foi universelle ? Que doit-il faire, si une contagion s'efforce d'infecter, non seulement une petite partie, mais l'Église entière ? Il doit alors s'attacher à l'antiquité, qui ne peut plus être séduite par les artifices de la nouveauté. Mais si dans l'antiquité même une erreur se découvre dans quelques hommes ou même dans une région plus ou moins importante ? Alors, à la témérité ou à l'ignorance, il préférera les décrets de l'Église universelle, s'il en existe. Mais s'il n'en existe pas, que faire ? Il aura soin de consulter et de comparer entre eux les sentiments des anciens; mais de ceux-là seuls qui ont persévéré dans la communion et dans la foi de l'Église catholique, et y sont considérés comme des docteurs orthodoxes. Ce qui aura été tenu, écrit, enseigné, non par un ou deux seulement, mais par tous ensemble, unanimement, clairement, fréquemment, persévéramment, c'est ce qu'il faudra croire sans aucune hésitation.
Tout cela s'éclaircit par l'exemple des donatistes et des ariens. Les premiers, qui formaient une grande partie de l'Afrique, préférèrent la témérité sacrilège d'un seul homme à l'Église du Christ. Ceux, dans cette partie du monde, qui détestèrent ce schisme profane et restèrent unis à toutes les Églises du monde, purent seuls se sauver dans le sanctuaire de la foi catholique. Ils ont montré à la postérité comment, à l'extravagance d'un seul ou de quelques-uns, il faut préférer la santé de tous. De même, lorsque le venin de l'arianisme eut entaché, non plus une petite portion, mais presque tout l'univers, et que la plupart des évêques ayant joint cette hérésie, on ne voyait presque plus ce qu'il fallait suivre dans cette grande confusion, les vrais adorateurs du Christ se préservèrent de la contagion, en préférant l'antique foi à la perfidie nouvelle.
Mais pourquoi Dieu permet-Il souvent que des personnages recommandés dans l'Église enseignent des nouveautés aux catholiques ? Moïse a déjà répondu à cette question : S'il s'élève un prophète qui dise : Suivons des dieux étrangers, de nouvelles erreurs; les Israélites ne devaient pas l'écouter, parce que Dieu les tentait, pour savoir s'ils L'aimaient de tout leur coeur. De même il a été donné à des hommes de talent extraordinaire de tenter les chrétiens : les hérétiques anciens et modernes, auxquels l'Église dit également anathème. Ces exemples font voir aux catholiques qu'ils doivent recevoir les docteurs avec l'Église, et non abandonner la foi de l'Église avec les docteurs. Sous ce rapport, personne ne peut être comparé à Origène. Ses talents, ses lumières, ses vertus, ses succès, sa renommée étaient tels qu'il y avait un grand nombre de catholiques qui aimèrent mieux se tromper avec lui que d'avoir raison avec les petit nombre des autres. Et ce grand personnage, ce grand docteur, ce grand prophète, est devenu une terrible tentation pour un grand nombre: car, abusant de la grâce de Dieu, en se confiant trop à son esprit, en dédaignant la simplicité antique de la religion catholique, en croyant en savoir plus que tout le monde, en interprétant certains endroits de l'Écriture d'une manière nouvelle, au mépris des traditions de l'Église et de la doctrine des anciens, il a mérité qu'il fut dit de lui à l'Église de Dieu : "S'il s'élève parmi vous..., vous n'écouterez pas les paroles de ce prophète-là, parce que le Seigneur votre Dieu vous tente, si vous L'aimez ou non". C'était non seulement une tentation, mais une grande tentation, de faire passer insensiblement de l'ancienne religion à la nouveauté profane.
D'après cela, celui-là seul est un catholique véritable, qui ne tient et ne croit que ce que l'Église catholique a reçu universellement, et qui se méfie toujours, comme étant une tentation, de toute nouveauté introduite par quelqu'un, sans ou contre tous les saints. Comme, suivant St Paul, il est nécessaire qu'il y ait des hérésies, rien ne sert mieux contre la perplexité, dans ces temps d'épreuves, que l'attachement à la foi ancienne. Quand on réfléchit à tout cela, on ne saurait s'étonner assez, qu'il y ait des hommes si emportés, si aveugles, si impies, si portés à l'erreur, que, non content de la règle de la foi, une fois donnée aux fidèles, et reçue de toute antiquité, ils cherchent tous les jours des nouveautés, et veulent toujours ajouter, changer, ôter quelque chose à la religion, comme si ce n'était pas un dogme céleste, qui, révélé une fois, nous suffit. Il n'y a pas d'institution terrestre qu'on ne puisse amener à sa perfection sans la réformer, ou, à dire vrai, en y remarquant tous les jours quelques défauts; tandis que les oracles divins nous crient : Ne transportez pas les bornes qu'ont posées vos pères; et St Paul dit de son côté : Protégez le dépôt des profanes nouveautés de paroles et des oppositions d'une prétendue science, dont quelques-uns, en faisant profession, se sont égarés de la foi.
Quelqu'un dira peut-être : Dans l'Église du Christ, la religion ne peut-t-elle donc faire aucun progrès ? Elle peut en faire, et un très grand; mais il faut que ce soit un progrès véritable et non un changement. Il est du progrès qu'une chose se développe en elle-même; il est du changement qu'elle en devienne une autre. Il faut donc que l'intelligence, la connaissance, la sagesse de chaque fidèle et de l'Église entière s'augmente avec les siècles; mais dans son genre, à savoir, dans le même dogme, dans le même esprit et dans le même sentiment. Il faut que la religion des âmes imite la condition des corps. Ceux-ci se développent avec l'âge; mais ils restent les mêmes. Ainsi, il faut que le dogme chrétien se consolide avec les années, se dilate avec le temps, s'élève avec l'âge; mais il faut qu'il demeure toujours parfait et sans tache, par la juste proportion de ses parties et les propriétés convenables de ses membres. Nos ancêtres, par exemple, ont semé le froment de la foi dans le champ de l’Église; il serait injuste que, au lieu de la vérité du froment originel, nous voulions récolter l'erreur substituée de l'ivraie. Il est permis de limer et de polir, avec le temps, les dogmes antiques de la philosophie du ciel: mais c'est un crime de les changer, un crime de les tronquer ou de les mutiler. Ils peuvent augmenter en clarté et en précision; mais il faut qu'ils conservent leur plénitude et leur nature incorruptible. S'il était permis une fois de les altérer dans quelques parties, on finirait par les rejeter dans leur totalité. Aussi, l'Église du Christ, fidèle dépositaire de ses dogmes, ne change jamais rien, ne diminue jamais rien, n'ajoute jamais rien, ne perd jamais rien de ce qui lui est propre, et ne reçoit jamais rien de ce qui lui est étranger. Par les décisions de son Magistère universel ordinaire et extraordinaire, l'Église du Christ ne fait rien d'autre que de donner par écrit à la postérité ce que les anciens avaient cru par la seule tradition; que de renfermer en peu de mots le principe et la substance de la foi: Et souvent pour faciliter la compréhension, d'exprimer par quelque terme nouveau, mais propre et précis, la doctrine qui n'avait jamais été nouvelle; en sorte que, en disant quelquefois les choses d'une manière nouvelle, on ne dit néanmoins jamais de nouvelles choses.
St Paul avertit Timothée de fuir les profanes nouveautés de paroles, c'est-à-dire de dogmes, de choses, de sentiments contraires à l'antiquité. Car si l'on vient à les recevoir, la foi des saints Pères sera nécessairement violée ou en totalité ou en partie; il faudra nécessairement conclure que, dans tous les temps, tous les fidèles, tous les saints, tous ceux qui professent la continence, toutes les vierges, tous les clercs, tous les prêtres, tant de milliers de confesseurs, cette foule admirable de martyrs, cette multitude de nations, que l'univers presque entier, incorporé au Christ, son Chef, par la foi catholique, s'est trompé, a blasphémé pendant tant de siècles et n'a pas su ce qu'il croyait. Les innovations ont toujours été le propre des hérétiques. Quelle hérésie est jamais venue à éclore, si ce n'est sous un nom, dans un lieu et dans un temps certain et connu ? Qui jamais institua une hérésie sans se séparer auparavant de l'accord universel et ancien de l'Église catholique ? Par exemple, qui jamais, avant le profane Pelage, attribua au libre arbitre un si grande vertu qu'il ne crut pas la grâce de Dieu nécessaire à chaque bonne action ? Qui, avant le sacrilège Arius, osa diviser l'unité de la Trinité ? Etc.
On demandera peut-être si les hérétiques eux-mêmes ne se servent pas des témoignages des divines Écritures. Sans doute, ils s'en servent, et même beaucoup. Mais il faut les craindre, d'autant plus qu'ils se cachent à l'ombre de la loi divine. Ce sont des loups ravisseurs qui se couvrent de la peau de brebis, mais on les reconnaît bientôt à leurs fruits : à leur amertume, à leur rage, au déchirement du dogme catholique; ce en quoi ils sont semblables à leur maître Satan.
Mais que feront alors les catholiques pour discerner la vérité d'avec la fausseté ? Ils auront soin de faire ce qui a été dit d'abord; Us interpréteront l'Écriture suivant la tradition de l'Église universelle et les règles du dogme catholique. Dans l'Église catholique même, ils suivront l'universalité, l'antiquité, le consentement. Ils rejetèrent ce qui y est contraire. A la témérité d'un seul ou de quelques-uns, ils préféreront les décrets du Magistère universel; et, s'il n'y en a pas, l'accord des docteurs les plus nombreux et les plus illustres. Ils feront ainsi, non pas pour toutes les petites questions, mais pour la règle de la foi.
Suivant St Vincent de Lérins.
Extrait de : BOC No 44. Éric Tailhardes
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